Jeudi 11 août 2011

Fin de partie

Je suis dans la petite maison de campagne. Août s'amuse à faire mentir l'été. Parfois il ressemble à une fin de mois d'octobre et il fait si sombre dans le salon qu'il faut allumer les lumières en plein jour. Parfois il se fait avril et il ne faut pas se découvrir d'un fil quand le pâle soleil vient flirter entre les branches du grand bouleau. La Sardine est là. Mes parents et mon frère aussi. O. est retourné à Paris les cinq jours de la semaine pour travailler. Le temps s'étire dans la maison aux souvenirs.

J'ai l'impression de vivre ce mois d'août dans une sorte de sursis. Je sais que lorsque chaque jour d'août se sera écoulé, lorsque nous serons arrivés au 31, ce sera la fin d'une époque. Une époque qui aura duré un peu plus de six mois et que j'aurai vécu entre parenthèses, entre grande joie et petit ennui, entre authentique bonheur et réelle fatigue. Quand septembre arrivera, je reprendrai le travail. Le bureau de 9 h à 18 h, les mails à trier, la photocopieuse en panne, les collègues qui répèteront "Alors, de retour ?". Quand septembre arrivera, j'arrêterai d'allaiter. Je retournerai le tire-lait à la société de location. Merci pour vos loyaux services. Et je compterai les cuillerées de lait en poudre à verser dans le biberon. Quand septembre arrivera, la Sardine s'essaiera à une nouvelle forme d'alimentation, une nourriture de grande – carottes, pommes de terre, brocolis et haricots verts. Quand septembre arrivera, j'habillerai la Sardine chaque matin, puis je la serrerai dans mes bras très forts et je lui dirai à l'oreille, Au-revoir ma minette, tu vas passer la journée avec ta nounou, je te retrouve ce soir. Quand septembre arrivera, je ne serai plus mère au foyer. Je ne serai plus maman d'un nourrisson. Je ne serai plus non plus esclave des heures de biberon, des balades dans le square à regarder les gosses des autres tourner en tricycle autour du bac à sable et des pleurs inexplicables.

Voilà six mois de ma vie qui ont duré une éternité. Voilà six mois de ma vie qui n'ont existé que le temps d'un clin d'œil. Hier, j'étais nouvelle accouchée, mère d'un nouveau-né avec des coliques et des cacas liquides qui sentaient le lait. Le 1er septembre, je serai une femme qui travaille, qui gère le boulot, la maison, les petits pots, le sac pour la nounou et les courses pour le dîner. Ne pas oublier Lapinette pour la sieste de la Sardine, bien dire à la nounou de nettoyer les yeux de la Sardine si elle a de petites larmes au coin des yeux, prendre rendez-vous chez le pédiatre pour la visite du 6e mois, faire la déclaration à la CAF et acheter les boites de lait à la pharmacie. Tout ça, tout ça. Tout faire en même temps, ne rien oublier. Être partout à la fois. En septembre, il y aura tout ça.

En attendant, dans la petite maison de campagne, c'est le sursis. Les derniers jours dans la lenteur du mois d'août. J'étends un matelas sur le gazon et couche la Sardine sur mon ventre. Elle s'amuse à ramper contre moi et à baver allègrement sur mon décolleté. Mina, de retour d'une séance de chasse à la souris, se couche entre mes jambes. Je pense à tout ce que j'aurais voulu faire durant ces six mois et que je n'ai pas eu le temps de faire. Écrire, écrire, encore écrire. Pas une seule ligne noircie dans mes cahiers. Être maman et écrivain à la fois, je ne sais pas, je n'ai pas su. Je pose la Sardine dans son parc improvisé (une piscine gonflable tapissée d'une couverture). Elle râle doucement, se frotte les yeux, colle son doudou contre ses paupières, prélude au sommeil. Je la regarde partir, tout doucement, partir de l'autre côté des rêves. Ses petites lèvres qui mordent fébrilement sa tétine et sa girafe brune qui recouvre tout son visage. J'attrape mon gros bouquin, dans l'espoir que la Sardine fasse une sieste d'au moins une demi-heure qui me permette de lire un chapitre de ce livre commencé il y a un mois.

Ce mois d'août ressemble inlassablement à une fin d'été. Fin de partie, fin du premier acte. Et après ?

Regards extérieurs, c'est ici !

Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription
 
Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.
Il y a sept ans.
Il y a huit ans.
Il y a neuf ans.
Il y a dix ans.
Il y a onze ans.
Il y a douze ans.