Lundi 14 octobre 2013

Respirations

On est là, assis l'un en face de l'autre et on se regarde. On regarde ce qui nous attend dans les prochains jours, les prochains mois, et on a envie de pousser de gros soupirs. Parfois, j'aimerais fermer les yeux et respirer le plus fort possible. Expirer tout l'air, faire le vide pour trouver la force en moi. Mes parents me disent, Vous avez voulu tout faire en même temps la naissance, la vente de l'appartement, l'achat de la maison, les travaux. En fait, on n'a rien voulu, tout s'est enchaîné, presque malgré nous. On se retrouve là, avec notre vie qui change de fond en comble, à la fois terriblement excités et merveilleusement terrorisés.

J'ouvre les yeux. Il est là, devant moi, l'homme que j'aime et avec qui je vis tout cela. Il me dit, Regarde, on a déjà passé le plus gros et tout s'est bien déroulé le prêt, l'accouchement, et la Crevette qui est magnifique et en pleine santé. Il n'ajoute rien, mais j'entends ce qu'il ne dit pas : tout le reste va bien se passer, ne t'inquiète pas. Je ferme de nouveau les yeux et je respire fort. J'aimerais évacuer cette tension qui me serre le dos depuis presque un mois. J'aimerais que ma vie devienne plus légère.

Mardi dernier, on a serré la main du notaire et celle de l'agent immobilier, et on s'est quittés comme ça, devant l'étude. Ils nous ont dit, Félicitations. J'avais mis les trousseaux de clés dans mon sac à main. Deux gros trousseaux en cuir, un peu anciens, comme ceux de la maison de mes grands-parents. J'ai dit à O., Allez, on va voir ! Impatiente, comme une enfant. Il m'a répondu, Attends, on va déjeuner d'abord. Plus tard, on est arrivés devant la maison. Cette maison devant laquelle on est passés si souvent depuis trois mois. Deux grandes fenêtres, un panneau "Vendu" et des volets fermés. J'avais imaginé souvent ce moment. Je m'étais dit qu'O. pourrait me prendre dans ses bras pour franchir le porche de la maison, comme dans les films américains. Et puis une fois sur place, j'ai oublié. Sans doute à cause de la poussette encombrante que j'essayais de manier dans les petites marches. Les volets étaient fermés, il faisait tout noir. Sensation étrange d'être chez soi et en même temps un peu voleurs, un peu intrus. J'ai pensé beaucoup à la vieille dame à qui appartenait cette maison, celle qui y était née et que son père avait fait construire en 1912. Elle s'appelait Simonne, avec deux "n". J'ai envie de croire qu'elle était gentille et qu'elle veillera sur nous. Dans la maison, j'ai retrouvé un carnet de lectures : des petites annotations serrées, à l'encre noire, sur du papier quadrillé. En 1943, elle lisait beaucoup de Zola et des petits romans dont les noms des auteurs sont aujourd'hui inconnus. J'ai retrouvé aussi un sac avec de vieux catalogues de tricots d'enfants. À qui tricotait-elle des pulls en crochet elle qui n'a pas eu d'enfants ?

Nous sommes retournés dans la maison deux jours plus tard. Les travaux avaient déjà commencé. Le mur de la cuisine avait été abattu. À la place, un tas de gravats. Dans le jardin, des mauvaises herbes et des arbustes informes. Dans le grenier, de la poussière et de l'obscurité. Je me suis dit, Voilà, c'est chez nous. Toujours incrédule. Et aussi vaguement inquiète. Voilà donc pour quoi on s'est endettés 25 ans ? Pour une maison qui n'a plus de murs ? Mais O. avait gardé son enthousiasme. Il disait, Là, il y aura la salle de bain et là ta bibliothèque. Alors j'ai fermé les yeux de nouveau et j'ai respiré profondément. Voilà notre nouvelle vie. On a désormais fini de l'imaginer et on va pouvoir la vivre. Tous ensemble.

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