Vendredi 21 juin 2013

Alors ?

Je suis dans le couloir de la maison. Ça sent le vieux, la poussière et le renfermé. La maison a été vidée de ses meubles. Mais on voit encore sur la moquette murale de la chambre à coucher les traces d’un tableau ou d’une ancienne bibliothèque. Sous les combles, il y a une grande armoire que je n’ai pas osé ouvrir. Et dans l’entrée, est restée une petite étagère avec un téléphone sur lequel est collée une étiquette où une main tremblante a écrit « En cas de décès, appeler M. X. », suivi d’un numéro. Je suis là, dans le couloir de la grande maison, avec O. et un agent immobilier. Aucune idée du temps écoulé. 20 minutes, ou peut-être le double. On a arpenté le grand salon, ouvert les fenêtres et les portes (« Et là, c’est quoi ? ah oui, les toilettes ! »), on est monté à l’étage, redescendu au sous-sol, levé les pieds pour marcher entre les mauvaises herbes du jardin. Je suis fatiguée d’être debout. J’ai envie de m’asseoir là, au milieu du salon, par terre dans la poussière.

Alors ?

Alors ? Monsieur a dit oui, l’agent immobilier attend la réponse de Madame. L’agent immobilier dit « Madame A. », alors que personne ne m’appelle ainsi, par le nom de ma belle-mère, moi qui ai choisi d’accoler les deux noms de famille. « Alors, Madame A. ? » Dehors, un autre agent immobilier attend avec des clients potentiels. « Je ne vous presse pas, mais je ne vous cache pas que le temps nous est compté… », répète l’agent immobilier. Je colle mon dos contre le mur du salon, le regard vers le jardin. Je ferme mes oreilles, je ferme mes yeux. Je ne pense pas que la décision que je dois prendre en une heure nous engagera sur 20 ans. Un peu plus tard, dans le petit bureau de l’agence immobilière, je ne sais plus très bien ce que je signe. Je regarde la Sardine qui dévore un croissant et qui sème de grosses miettes par terre. Et un peu plus tard, le soir, dans mon lit, le sommeil ne vient pas. Ça remue dans mon ventre, l’estomac qui serre, la sueur qui coule, les idées qui se bousculent et se marchent sur les pieds. Quand est-ce que j’ai ressenti ça la dernière fois ? Lorsque j’avais appris que j’étais enceinte pour la première fois ?

Le lendemain, je suis de nouveau dans le couloir de la maison. J’ai oublié la nuit sans sommeil et le poids de la signature en bas du papier. Mes parents marchent à mes côtés, derrière l’agent immobilier. La Sardine a laissé son vélo à l’entrée. On dit « Là, on abat le mur et on fait un grand espace cuisine salle à manger ». On dit aussi « On ne gardera qu’une cheminée ». On dit encore « Il est joli le carrelage ancien à mosaïque dans le couloir, on pourrait le garder ». On dit tout ça et on ne sait pas trop si on doit employer le futur ou le conditionnel. Je n’étais pas sûre, mais voilà que de nouveau je sais. Mes parents, un peu inquiets en entrant dans la maison, en ressortent satisfaits. Et dans le jardin, je regarde la Sardine qui s’est installée tout au fond, sous un arbuste, pour déballer tous ses jouets et marcher en équilibre sur le petit muret.

Alors ?

Alors, ce sera ici, notre maison. À nous quatre, plus le chat. Et les rêves d’avenir.

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