Comme le dit
le grand homme...



pour m'écrire
















































































hier demain
Mercredi 13 décembre 2000

L'autre jour, avant le conseil de classe, il y a eu un grand règlement de compte dans une de mes classes. Mes joyeux Poulpes m'ont avoué n'être pas bien d'accord avec certaines de mes façons d'enseigner. En gros, mon cours ressemble selon eux beaucoup trop à un vrai cours : on y travaille, on est forcé d'écouter (le professeur, pas le Walkman), on est obligé de s'impliquer. Pouah, tout ça, beaucoup n'aiment pas et préféreraient des débats vivants où, fi des grands auteurs, leurs opinions pourraient enfin s'exprimer en toute liberté - un peu comme à la télé, quoi. Bon, je prends toute cette vague de critiques avec sérénité. J'aime mieux qu'on m'accuse de trop bien préparer mes élèves au Bac, plutôt que du contraire.

Toutefois, dans ces revendications de la jeunesse, l'une d'elles m'a particulièrement intéressée. Une élève m'a reproché de leur faire étudier trop de textes - leur faire trop lire, en d'autres mots - alors qu'il serait bien plus efficace, selon elle, de leur dicter à chaque nouveau cours une liste de citations (courtes si possibles). A chaque dissertation, il suffirait de replacer la citation dûment apprise, et hop, le travail serait fait, sans avoir à se casser la tête à essayer de comprendre un texte ardu, et hop, mon salaire serait enfin justifié. Le souhait de cette jeune Poulpe avait les accents d'un véritable cri du coeur. Il signifiait "prémachez-nous le travail, Madame !" Seulement, pas de pot, mais je n'aime pas mastiquer à la place des autres...

Et puis, je n'aime pas les citations. Pourtant, les copies des élèves (souvent les plus faibles d'ailleurs) en sont remplies. Ils sont persuadés qu'en invoquant un grand nom leurs pires bêtises seront approuvées et justifiées. Le problème, c'est qu'ils projettent la citation en pleine page, sans la commenter ni même l'introduire, et toi, tu te retrouves avec le misérable propos d'un obscur inconnu dont, tiré de tout contexte, tu demandes bien ce qu'il a pu vouloir dire. Car les références des élèves sont souvent très originales. Le dictionnaire est le plus grand fournisseur de citations diverses et variées : "comme le dit le dictionnaire Larousse Classique..." est effectivement un grand classique. Mais, plus que Pascal, Balzac ou Sartre, les grands vainqueurs sont en général les auteurs de manuels scolaires, certes pour certains brillants agrégés, mais dont l'autorité et l'originalité sont tout de même secondaires. Ainsi, dans les copies, on trouve des "Lagarde et Michard disent avec raison, de façon très convaincante que...". On peut remplacer le nom par n'importe quel autre patronyme, car, en général, les auteurs de manuel ne sont pas aussi connus que ces derniers. Je m'attends toujours à trouver, au détours d'une copie, un "ainsi que le dit Hatier (ou Nathan, ou Hachette...)", tellement il semble être inessentiel pour eux d'identifier l'auteur de la source. Tant qu'une autorité - supérieure ou non - vient appuyer (ou remplacer) le discours de l'élève, alors la copie est aux yeux poulpiens sanctifiée. Peu importe que cette autorité soit un acteur célèbre (Robin Williams dans Le Cercle des poètes disparus est le grand favori), une personne de sa famille proche ("dixit mon père" ai-je trouvé dans une copie, après une longue phrase mise entre guillemets) ou même une émission de télévision. Sur ce dernier cas, j'ai effectivement cru tomber des nues après avoir lu, en toute innocence semble-t-il, développé sur la moitié d'une feuille un exemple tiré de l'honteux talk-show (comme on dit) C'est mon choix qui est le pire ramassis de banalités et de vulgarités que l'on puisse trouver en ce moment à la télévision française.

Bref, je déplore l'emploi des citations - non pas en tant que telles, mais lorsqu'elles ne sont pas tirées d'un travail de lecture personnel et authentique. Les citations toutes faites, données en pâture, sur les pages web me donnent ainsi des boutons. Quelle valeur a la parole d'un autre ? A quoi sert-il de recopier la phrase d'une soi-disant autorité ? Si la phrase reste extérieure à son propre discours et plaquée de force dans une seconde parole qui ne l'écoute en rien, alors ce n'est qu'une marque de pure pédanterie. "Ca fait bien" de mettre du Edgar Poe ou du Lavelle dans son texte, ça montre qu'on est savant et cultivé. Sauf que, selon moi, cela fait peu illusion, étant donné qu'il est aisé de se procurer ce genre de phrases magiques, que ce soit dans un dictionnaire des citations ou sur un site internet.

Je ne dis pas que la tentation, même chez moi, n'est pas parfois forte de faire référence à ce genre de discours extérieur. Ainsi, je me rappelle très bien du jour où j'avais trouvé dans des bouquins de mes parents un vieux dictionnaire de citations. J'étais alors en troisième et j'avais un sujet de rédaction à faire. C'était un de ces sujets dit "argumentatif" où il s'agissait de discuter autour d'un thème de société. Je me rappelle très bien de l'intitulé : "Naître, vivre et mourir dans la même maison... Que pensez-vous de cette maxime de Sainte-Beuve ?" Le sujet n'était pas si évident pour des gamins de 14 ans, je le reconnais maintenant. Bien qu'en général je réussissais facilement dans ce type de devoir, je voulais pour cet exercice là briller encore plus. J'avais donc pris mon petit dictionnaire, et l'avais ouvert à la page "Voyage", et avais recopié les quelques misérables citations trouvées. Je me sentais fière de pouvoir citer ainsi un grand nom. Il me semblait avoir composé un écrit digne d'intérêt non pas en raison de mes propres arguments, mais grâce à ces quelques lignes extérieures. Je ne me souviens plus de la note obtenue, mais je me rappelle que ce sentiment de fierté et de pouvoir que semblait me procurer l'instrument est resté assez longtemps dans mon esprit. En gros, j'ai eu le désir d'utiliser le petit dictionnaire jusqu'à ce que je me sois constituée moi-même mon propre dictionnaire - un petit carnet, que je possède toujours, réunissant, dans un impressionnant désordre, quelques fragments de lectures qui m'avaient particulièrement frappés. Ces citations ne sont pas classées par ordre alphabétique mais suivant mes propres expériences de lectrice, ou bien selon mes humeurs (une même phrase ne touche pas forcément de la même façon selon l'instant où on l'a lit). Aujourd'hui, à force de les relire, je connais certaines de ces phrases par coeur. Je les utilise parfois, mais toujours en me rappelant du moment où je les ai lues pour la première fois et en pensant à l'instant où ces mots étrangers sont devenus miens.

On n'est pas plus intelligent parce qu'on a cité les mots de quelqu'un d'autre. Alors, comme le dit Eva, "il vaut mieux se taire que parler à mauvais escient". Et, comme l'approuve Hannah, "miaou". Et ce sera le mot de la fin.

Il y a un an.