Le poids des mots,
le choc des photos



pour m'écrire


















hier demain
Vendredi 15 décembre 2000

Ce midi, j'ai croisé un collègue à la cantine. Au lieu de l'entendre me dire un habituel "Bonjour, comment vas-tu ?", je l'ai vu prendre un air faussement condescendant, malicieusement désolé : "J'ai vu ton beau profil..., me dit-il, c'est pas de chance, mais ce sont des choses qui arrivent...". Je ne comprenais pas de quoi il pouvait bien parler. Je me suis dit qu'il faisait allusion à ce pathétique incident oculaire (qui a fait le tour du lycée, soit dit en passant). Mais non. Devant ma surprise, il s'est expliqué. Enfin, à demi-mot : "t'as pas vu la photo dans le journal ?". Non, je n'avais pas vu ni de journal ni de photo. Apparemment, l'attitude compatissante du collègue portait à croire qu'il valait mieux effectivement que je ne la vois pas. Mais c'était trop tard. Il en avait trop dit.

Je suis allée voir la fameuse page de ce journal local, Les Nouvelles d'Evaville. Je n'ai pas eu à chercher longtemps. Je me suis vue comme dans un miroir. En plein milieu de la page, en gros plan. En début de semaine, j'étais allée à une conférence, et un petit article, avec des photos, retranscrivait l'événement (pas ma présence à la réunion, mais la conférence en elle-même). Sur la photo principale, on voyait une assemblée de personnes concentrées et attentives, l'oeil vif et intéressé, et puis, au premier rang, affalée sur sa chaise, la tête sur son bras et les paupières baissées, une misérable spectatrice, bien dépassée semble-t-il par la discussion à laquelle elle assistait. Et bien entendu, cette spectatrice, c'était moi.

Au premier rang, en plus : impossible de me manquer. Voilà, maintenant, toute la ville est persuadée que je dormais à cette conférence. Toute la ville le sait, puisqu'elle l'a vu dans le journal. En vérité, si je puis prendre ma défense, j'étais penchée sur une feuille et je prenais des notes (j'étais sans doute une des rares personnes à le faire, d'ailleurs). Mais qu'importe, la photo parle à ma place. Pire, la photo me coupe la parole et crie, malgré moi, que je ne suis qu'une flemmarde qui dors aux conférences, au lieu d'écouter. C'est photographié, c'est publié, c'est diffusé. C'est la honte.

Oui, vraiment, "c'est pas de chance". Oui, tu l'as dit.

Il y a un an.