Esther Kahn



pour m'écrire






















hier demain
Vendredi 6 octobre 2000

Je reviens du cinéma où j'ai vu le film de Despléchin, Esther Kahn. Je ne vais pas me la jouer Flaubert s'exclamant "Madame Bovary c'est moi !"... Mais si Esther Kahn ce n'est pas moi, cela y ressemble tout de même beaucoup. Je pourrais raconter en deux lignes l'intrigue, mais ce serait vide. L'histoire paraîtrait banale, et certainement l'est-elle : c'est le récit d'une jeune fille qui veut devenir actrice mais qui n'y parvient pas, car, toute sa vie, elle a retenu toute émotion et toute sensation, s'échappant en toutes choses de l'existence sensible, s'efforçant de n'y vivre que superficiellement, se renfermant sur elle-même...

Esther Kahn, c'est moi. Car pour ne pas avoir à souffrir un jour, que j'ai cru pouvoir décider de vivre comme un automate, m'extrayant de tout sentiment, me rendant extérieure à toute émotion. Sauf que je n'y suis peut-être jamais arrivée. Mais j'ai eu cette ambition. Ne plus rien sentir à la surface de moi-même, ne rien vivre à l'intérieur de mon corps. Toujours s'extraire. Ne jamais faire entrer en soi un monde heurté par des sentiments trop violents. S'efforcer de contempler la vie des autres sans jamais y entrer.

Esther Kahn ne sent rien. Elle ne vit rien. La plus réelle part du monde lui échappe. Elle ne comprend pas pourquoi les gens autour d'elle parlent autant, pourquoi ils aiment, pourquoi ils détestent. Sa vie est mécanique, déjà vécue semble-t-il avant d'avoir eu lieu. Elle n'est pas malheureuse pour autant. La douleur vient de la privation, et non pas de la négation. Elle ne sent rien non pas parce qu'elle a perdu toute sensibilité, mais parce qu'elle n'en a jamais eu. Pourquoi en souffrirait-elle si elle ignore ce que c'est ?

Et puis un jour le monde lui éclate en pleine figure. Avec violence. Avec acharnement. Avec déchirure. Elle veut en mourir. C'est trop fort. C'est trop dur. Mais... c'est alors que sa vie peut commencer...

Il manque dans ma vie cette violence qui m'ôtera à jamais l'illusion de ne chercher plus rien à sentir.