45 tours rayé |
Mardi 17 octobre 2000 En ce moment, j'ai l'impression de piétiner. Piétiner dans mon journal, piétiner dans mon travail... et - plus grave - piétiner dans ma vie. Faire du sur-place. Lever les jambes, mais ne pas bouger, ne pas avancer. Un peu comme un disque rayé. Un vieux disque - un 45 tours. Je regrette les vinyles de mon enfance pour cette raison : les CD ne peuvent pas se rayer comme le faisaient les disques noirs qui répétaient inlassablement la même phrase musicale quand ils étaient abîmés. J'ai l'impression que ma vie ressemble à un 45 tours rayé : tous les deux zozotent, bégaient - pour, finalement, ne rien dire d'intéressant. Regardons ce journal. Je ne crois pas avoir écrit une seule page vraiment intéressante depuis ces dernières semaines. Regardons mon travail. J'ai passé l'après-midi à la bibliothèque et j'ai écrit en tout et pour tout deux phrases - et encore, je les ai aussitôt barrées, car elles ne me convenaient pas. Je m'évertue à reprendre les cours préparés l'année dernière pour les recomposer, les parfaire. Mais en fin de compte je ne sais comment m'y prendre, et au lieu d'améliorer le cours, je le rends plus incohérent. Regardons ma vie... Y a-t-il seulement quelque chose à regarder ? Comme pour mes cours, j'essaie d'y mettre un peu d'ordre, d'y voir plus clair, en reprenant ce que j'ai fait pour changer et faire mieux. Je barre, j'efface, je rature. Mais je n'arrive pas à changer quoi que ce soit. Le résultat final semble toujours identique - et toujours aussi insatisfaisant. Il faudrait que je puisse écrire du nouveau sur l'ancien. Mais c'est toujours l'ancien qui revient - cet ancien que je ne veux plus. Enfant, j'ai passé des journées entières avec mon frère à écouter de vieux disques de mes parents. Surtout de la variété française que beaucoup jugerait aujourd'hui "ringarde". Mais c'était les seuls disques qu'on avait, mon frère et moi, alors on se les repassait encore et encore. Jusqu'à ce qu'ils deviennent rayés. Parce qu'en plus de cela on ne les rangeait pas toujours dans leur pochette. Mais nous mettions tout de même les disques rayés sur le tourne-disque. Nous éclations de rire en écoutant ces refrains écorchés qui n'en finissaient pas. Et, pour les abréger, nous frappions un grand coup sur la table, pour faire bouger de quelques millimètres le saphir de la platine et pour que la chanson reprenne un peu plus loin. Pourquoi ai-je autant de mal aujourd'hui à frapper d'un grand coup sur la table pour faire avancer mon propre disque ? |