Cible perdue.



pour m'écrire



















































hier demain
Lundi 11 septembre 2000

Voilà à peine une semaine que la rentrée a débuté et que les cours ont repris, mais déjà voilà que je commençais à m'habituer à ce nouveau rythme et à me lancer, sans vraiment réfléchir ni questionner, dans cette nouvelle année. J'étais repartie. Je n'avais pas encore repris mon rythme de croisière, certes, et j'étais encore submergée par les vagues déclenchées par ce nouveau voyage, mais j'allais voguant, toutes voiles dressées et à vive allure, sur un fleuve que, malgré les chaos du départ, je prévoyais calme et sans surprise.

Mais hier soir, mon voyage n'a plus semblé si évident et mon navire s'est même heurté à un petit obstacle inattendu.

Pourtant, l'obstacle n'avait rien de particulier, et était même anodin : il est apparu, non pas à l'issue d'une grande catastrophe, mais tout simplement après le coup de fil d'une "vieille" copine de Prépa. Cela faisait des mois qu'on ne s'était pas donné de nouvelles, et plus encore qu'on ne s'était pas vu, toutes les deux séparées, sans le vouloir, par des distances (kilométriques et spirituelles) imposées par la fin de notre vie d'étudiante. Jusque là, rien de particulier. Au contraire, j'étais contente de pouvoir parler de nouveau avec cette amie, après ce long silence que le temps avait mis entre nous sans pourtant que lui-même ne se fasse remarquer. Et puis, au fil de la conversation, mon amie s'est mise à parler des anciens de la Prépa. J'ai revu en mémoire ces visages naïfs et pourtant si exigeants que nous avions alors, et je me suis même surprise à tout doucement me perdre dans un tendre sentiment nostalgique. Mais mon amie avait quelques nouvelles récentes sur certains d'entre eux que je n'avais pas vu depuis longtemps. Elle m'a parlé de cette copine qui vient de se marier, de cette autre, brillante Normalienne, qui va peut-être avoir un poste à la Sorbonne, et de quelques autres encore. Cette fois-ci, j'ai essayé d'imaginer ces regards devenus nouveaux, que j'avais complètement perdus de vue depuis deux ou trois ans, mais je n'ai pas réussi. Ils étaient tous devenus des étrangers, regardant dans une autre direction que la mienne, et, plus encore, lançant, semble-t-il, leurs regards bien plus loin que les miens, vers des vies que j'ose encore à peine envier et espérer devenir miennes. Puis, mon amie m'a interrogée : "Et toi ? Et l'agrégation ? Et tu vas faire un D.E.A. ? Et une thèse ? Et puis des enfants aussi ?" Moi, j'étais toute penaude, répondant à chaque fois par la négative : "ben, j'ai pas trop le courage de bosser de nouveau sérieusement un concours, et puis pour le D.E.A. j'ai très envie, mais mon envie n'est pas bien suivie d'effets et ne parvient pas à me persuader de monter à Paris pour passer mon temps dans les bibliothèques... Quant aux enfants, euh, j'attends toujours de rencontrer leur père..." Je me suis sentie soudain perdue - mise devant mon horizon appaissant tel qu'il est véritablement : pur néant. C'est vrai : où sont donc mes ambitions et mes rêves ? Voilà aujourd'hui que je semble me contenter de ma situation - petite prof remplaçante dans un lycée paumé de campagne...

Il ne faut JAMAIS se comparer à ceux qui paraissent avoir mieux réussi que soi. Je suis sûre que les dépressions les plus terribles commencent toutes par ces rencontres inopinés avec des anciens camarades qui, extérieurement du moins, ont avancé plus droit dans leur vie. Enfin, pour être franche, je n'ai pas vraiment été déprimée - ou alors pas plus d'une soirée. Il m'en aurait fallu plus pour me faire sombrer. Mais, tout de même, je me suis posée quelques questions sur le cours de ma vie. Je me suis dit que, maintenant que les buts de ma vie d'étudiante étaient atteints, il était peut-être temps que je m'en donne de nouveaux, afin de ne pas passer le reste de mon existence à faire du sur-place ou à tourner en rond. Me donner des buts d'adultes, par exemple - de ceux qui commencent à deux et finissent dans une grande maison avec des cris d'enfants, peut-être. Ou alors, me souvenir de mes buts d'enfants - de ceux qui rêvaient de mots et d'écriture et auxquels j'ai cru un beau jour devoir finir de croire.

Pour bien viser, il faudrait peut-être que je me donne une cible. Une cible toute neuve, vierge et nue, sur laquelle je pourrais de nouveau m'exercer.