Emportement studieux. |
Jeudi 7 septembre 2000 J'aimerais avoir des histoires fabuleusement intéressantes à raconter. Mais non, je n'ai rien. Je n'ai ni le temps de vivre de telles aventures, ni l'ouverture d'esprit pour réussir à les imaginer, ou même à les rêver. Depuis une semaine, je n'arrête pas de travailler. Je ne suis pas déjà gagnée par la lassitude et l'ennui de mes élèves, et je suis encore suffisamment stressée pour ne pas me détourner de ma tâche et me plonger vers des occupations futiles. Je ressens de nouveau, après deux longs mois de sommeil et d'engourdissement sous le soleil, la tension de l'esprit qui s'étonne et questionne, la curiosité de la pensée qui cherche et découvre. J'aime me laisser emporter par ce désir excitant de connaître, cette volonté troublée qui aimerait tout amener en pleine lumière. Mes Poulpes étant encore des abstractions (je n'ai eu avec chaque classe pour le moment qu'un seul cours, et c'est trop bref pour savoir à quoi m'attendre), de pures images désignées par des noms neutres et inconnus, je suis encore tenue par la folle illusion qu'ils parviendront à me suivre dans ce désir ambitieux de vérité, qu'eux aussi, comme moi, rechercheront cette excitation de la pensée. L'idée qu'apprendre sera entre eux et moi un plaisir partagé me pousse à travailler encore plus intensément, plus fébrilement même. Je me répète pourtant, à chaque éclair de lucidité : "Arrête de les idéaliser, tu cours à la catastrophe. La déconvenue n'en sera que plus pénible. Un Poulpe est un Poulpe. Ici ou ailleurs. Je ne vois pas pourquoi ceux-là seraient différents." Mais je n'y parviens pas, et continue de me laisser emporter. Cet emportement est si agréable : c'est l'image un peu brouillée d'une parfaite communion entre le maître et le disciple, la réminiscence lointaine d'un temps antique où les professeurs et les élèves étaient des amis qui, eux mêmes, partageaient ensemble leur amour de la vérité. Je sais que je me laisse là emporter et que je le regretterai lorsque je serai brutalement retombée dans la réalité. Mais j'ai encore envie de me perdre dans la joie des commencements, dans la gaieté des nouveautés. Après tout, c'est peut-être pour cela que je fais ce métier... |