Incompréhensions |
Dimanche 24 septembre 2000 J'ai une peur irraisonnée de ne pas être comprise. Je ressens toujours le besoin de revenir sur mes paroles pour mieux les exprimer, de peur qu'elles ne soient mal interprétées. A l'école, mes dissertations étaient de véritables romans. J'en écrivais des pages, revenant sans cesse sur mes idées, jugeant à chaque paragraphe qu'elles n'étaient pas suffisamment expliquées et pensant que ma réflexion n'était pas assez clairement exposée. Je suis sûre que si, en général, j'avais de bonnes notes, ce n'était pas parce que mon travail était vraiment remarquable, mais plutôt parce que le professeur soit était découragé à l'avance et faisait semblant d'avoir tout lu, supputant que les dernières pages étaient satisfaisantes ; soit qu'il avait pitié devant la quantité d'efforts que j'avais fournie pour tourner en rond (... je le sais, car, aujourd'hui, c'est comme cela que je réagis devant les copies fleuves qui n'en finissent pas...). J'ai un vrai souci d'exhaustivité et de complétude. J'ai toujours admiré ceux qui savaient faire contenir leur pensée dans un énoncé synthétique, car j'en suis bien incapable. Je pourrais noircir des pages et des pages sur un même sujet, sans pourtant n'avoir jamais l'impression heureuse d'avoir dit ce que j'avais véritablement à dire. J'ai un esprit analytique, et non pas synthétique. J'explique à gros renforts de concepts et de répétitions, incapable d'oublier quelques allusions perdues au détour de mes phrases. Ce besoin de toujours revenir sur mes pensées pour les rendre plus claires provient d'une réelle peur d'être incomprise. Une peur qui n'est d'ailleurs pas si vaine que cela. Car si je crains tant de ne pas être comprise, c'est que je sais bien que bien souvent je ne le suis effectivement pas - même (et surtout) par les gens qui me sont le plus attachés. Ainsi, je sais bien que mes parents n'ont toujours pas compris pourquoi j'avais décidé de faire des études aussi difficiles alors qu'il m'aurait été bien plus aisé, et peut-être plus normal, de me lancer dans une carrière plus accessible. Combien de fois ma mère ne m'a-t-elle regardée avec ce regard inquiet et étonné de la tendre, mais pourtant réelle, incompréhension, lorsqu'elle me voyait me démener, au prix presque de ma santé, dans des concours impossibles. Seul le respect que mes parents me portent a pu contenir dans un silence leur probable désapprobation face à certains choix de ma vie. Ce sentiment d'être incomprise surgit parfois aussi en plein cours. Lorsque les élèves posent leurs stylos, me fixant en écartant les yeux et en fronçant les sourcils, je sais qu'ils ne comprennent plus ce que je dis, et, dans ces moments là, il me semble plus que jamais être seule sur l'estrade à bouger absurdement. C'est alors terrible. J'imagine que je passe alors, à leurs yeux, pour une extraterrestre, ou bien un animal en voie de disparition, ou je ne sais quelle bête curieuse encore. Bref, je déteste me sentir ainsi observée avec des regards incompris et obscurs, comme si c'était moi qui étais alors étrange et étrangère. Il me semble alors que tous mes gestes et toutes mes paroles deviennent vains et je me vois, comme dédoublée, me démener illusoirement contre des fantômes aux formes don-quichotesques de moulins à vent. Mais... Mais ces derniers jours, j'ai reçu deux messages de mes premiers lecteurs. Bien sûr, ces e-mails n'étaient pas complètement spontanés puisque je les avais plus ou moins explicitement réclamés en écrivant ma dernière page. Mais ils m'ont fait plaisir, en effaçant un peu ce sentiment que j'avais de parler dans le vide. Car mes craintes devant mon faible nombre de lecteurs étaient moins de me rendre compte que j'étais inintéressante (cela, mon orgueil peut l'assumer, et d'ailleurs il n'est pas dupe), mais de m'apercevoir une nouvelle fois que j'étais sinon incompréhensible, du moins incomprise. Une lectrice m'a appris que ce que j'écrivais faisait écho en elle, me rappelant que ce n'était pas le nombre de miroirs présentés aux regards extérieurs qui comptaient, mais bel et bien la qualité de ceux-ci. La qualité du miroir qui me renvoie l'image de mes lecteurs est aussi pure que du cristal. Pour cela, je voulais, ce soir, remercier tous mes lecteurs...
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