24 janvier 2000

Bonsoir Fred,

Ce week-end, avec ma petite Hannah, nous avons fait un petit voyage. C'était la première fois que mon chaton prenait le train. Enfermée dans une boîte, remuée d'un côté et de l'autre, entendant des bruits inconnus, la petite chatte s'est très vite exclamée qu'elle n'aimait pas ça du tout le train. Elle pleurait des miaous de colère et lançait des coups de pattes agressifs. Bien entendu tous les voyageurs se sont mis à se tourner vers moi. Au début, ils étaient sympas, souriaient à ma petite boule de poils. Mais au bout d'une heure de concert félin, je sentais bien qu'ils voulaient tous sa mort.

Ne t'inquiète pas : Hannah m'a pardonnée de lui avoir fait subir de tels supplices, car elle savait bien que c'était pour la bonne cause. Et elle n'est pas jalouse la petite, car la "bonne cause", c'était son concurrent es-caresses - Roméo. Après trois semaines de séparation, il était temps que je redevienne Juliette. Le temps d'une seule soirée, hélas, car Roméo est toujours très occupé. Lorsque nous nous sommes retrouvés face à face, je crois que nous nous sommes tous les deux sentis intimidés. Les premières minutes, nous n'avons pas tout de suite osé nous toucher. Puis, au restaurant, nous ne savions pas trop quoi nous dire - par où recommencer, voire par où commencer plutôt. Enfin les mots sont revenus. Nous avons parlé tous les deux - pour la première fois peut-être. Car nous nous connaissons peu, en fin de compte. Il a parlé de lui, de ses projets, de son caractère. J'ai parlé de moi, de mes projets, de mon caractère. Nous nous écoutions, mais c'était drôle, car dès que l'un disait quelque chose, l'autre s'exclamait : "moi c'est tout le contraire !" ou bien : "tu aimes ça ? moi je déteste !" La discussion n'était pas douloureuse pour autant. Au contraire, à chaque découverte d'une nouvelle divergence entre nous, j'avais envie de rire.

L'autre fois, en furetant dans tous les coins de l'appartement, Hannah a fait tomber d'un coin du frigo de vieux aimants qui traînaient inutiles. Je me suis mise à jouer moi aussi avec eux, un peu émerveillée, comme un physicien qui découvre une nouvelle loi physique. Je trouvais cela fascinant que les aimants d'un côté de leur face puissent se haïr avec tant de répulsion, alors que de l'autre côté ils ne pouvaient plus se décoller l'un de l'autre. Je me suis demandée comment tant de haine pouvait se convertir en tant d'amour lorsque seul un des corps d'un coup se retournait. Y a-t-il un point d'équilibre où les contraires peuvent se transformer en harmonie ? Qu'est-ce qui fait qu'il y a différence, et pourtant en même temps harmonie ?

Enigme de la science. Je ne suis pas scientifique. Je ne vais pas chercher à comprendre. Je vais replacer les aimants sur le frigo. Et m'amuser à trouver une nouvelle contradiction entre Roméo et moi qui continuera peut-être à me rapprocher de lui.

Eva.

Précédente Suivante