3 juin 2000

Lorsque j'étais étudiante, les petits boulots que je pouvais faire ici ou là ne me rapportaient pas beaucoup d'argent, et mes parents devaient pourvoir à mes dépenses - en particulier pour le loyer. Je culpabilisais de leur faire dépenser autant d'argent pour moi, et comme je ne pouvais pas raisonnablement mener sérieusement mes études en parallèle d'un job à plein temps, j'économisais chaque centime, à tel point que je semblais être devenue vraiment avare. En hiver je mettais trois pulls pour dormir pour éviter de chauffer mon studio la nuit, je faisais moi-même mes sandwichs en glissant dans une tranche de pain tout ce qui traînait dans mes placards pour ne pas avoir à dépenser trop d'argent dans les brasseries du quartier Latin, je m'obligeais à ne pas aller au cinéma le week-end, parce que ce n'était pas demi-tarifs pour les étudiants ces jours là. Et puis je soupirais devant tous ces livres que je voulais m'acheter, mais qui étaient trop chers pour moi : en retournant le livre qui me plaisait je voyais le prix, et je le reposais immédiatement sur l'étalage en murmurant "plus tard...".

Aujourd'hui, nous sommes plus tard. Mon rapport à l'argent a complètement changé. Auparavant, parce que j'avais toujours peur de ne plus en avoir un jour, et surtout parce que celui que je dépensais n'était pas à moi, l'argent était une entité concrète, réelle - presque trop réelle : je le considérais en lui-même, presque uniquement en lui-même, comme un ensemble de billets et de pièces de monnaie, palpables, vrais objets physiques. Je voulais accumuler chaque sou, oubliant parfois que l'argent perdait son sens si l'on arrêtait son mouvement d'échange et n'était recherché que pour lui-même. J'étais fétichiste, considérant comme un objet ce qui n'était qu'un moyen, et attachant plus d'importance à cet objet même qu'à ce qu'il permettait de faire.

Maintenant que j'ai un salaire et que je peux entièrement pourvoir à mes besoins (essentiels) et mes envies (superflues), l'argent a de nouveau repris pour moi sa valeur symbolique : je ne le regarde plus pour ce qu'il est, mais seulement pour ce qu'il me permet d'acquérir. Et même ce qui m'intéresse est moins ce qu'il permet d'acquérir, que ce qu'il permet de faire. Si je passe devant un magasin et qu'un vêtement, un livre, ou tout autre objet me fait envie, je l'achète. Sans vraiment regarder le prix. Et s'il y a deux produits du même type, j'ai tendance à choisir celui qui est de qualité supérieure, même si plus onéreux.

Eva.

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