27 août 2000

L'autre jour, en feuilletant le catalogue de la Camif (version "Education Nationale" des 3 Suisses ou de la Redoute, sociétés de vente par correspondance), mon père s'étonne, en feuilletant d'un oeil distrait les nombreuses pages consacrées aux équipements de voyage (tentes, matériel de randonnée, etc.) : "Mais pourquoi tant d'articles consacrées aux loisirs ?". J'aurais pu sentir venir la réflexion mi-ironique, mi-jalouse, celle qui me rend furieuse lorsque je l'entends sortir d'une bouche mal intentionnée. Pourtant, c'est moi qui l'ai devancée, sans colère aucune, ni même humour : "Mais Papa, tu sais bien que les profs sont toujours en vacances !". Il a regardé Hannah, au pied de son fauteuil, et a soupiré "Oui, c'est vrai..". Comment donc que c'est vrai ? Comment aurait-il pu l'oublier ? Voilà presque deux mois que mon cher Papa et ma chère Maman ont une colocataire de plus dans la maison - une habitante moustachue au regard perfide et fourbe qui, armée de ses griffes si aiguisées et munie d'une folle vivacité, est devenue leur véritable bête noire ! Un fauve qui refuse d'être retenue, qui n'accepte les caresses que lorsqu'elle en a choisi le moment et qui attaque, en montrant ses dents, quand on ose lui dire "non". Un chat comme Hannah, c'est mille fois pire que garder un petit-fils turbulent , et cela fait se demander pourquoi on est si fière de voir sa fille devenue une enseignante.

Un prof, c'est tout le temps en vacances ! Ben oui, quoi, ça fait presque deux mois que je suis partie, ma bête noire sous le bras, de bons romans dans mes valises, et mes yeux tout grand ouvert sur l'horizon, abandonnant sans regret l'ordinateur sur le coin de son bureau désormais déserté. Un petit peu de mer d'azur, un peu plus encore de soleil provençal, et beaucoup de montagnes alpines plus tard, à peine débarquée de mes terres lointaines, je n'arrive pas à croire que je suis partie si longtemps. Je suis revenue avec le bronzage si particulier des montagnards (une délicieuse bande blanche sur mes chevilles, marquant la trace de mes chaussettes), la tête pleine de rêves et de souvenirs. Cependant, le petit carnet que j'avais glissé soigneusement dans mon sac, avec l'ambitieux projet de lui confier mes mots, est revenu irréductiblement vide, blanchi par le pur néant d'un nouvel été muet qui a préféré les mots des autres aux siens propres. J'ai vu mille choses. Je n'ai rien écrit. A quoi bon s'en vouloir ? Je me suis faite à mes silences et à mon incapacité d'écrire lorsque d'autres autour de moi existent.

Ce soir, j'ai garé ma toute nouvelle Twingo devant ma porte, monté tant bien que mal mes valises sous mes toits, et ai été envahie par l'odeur de renfermé enclose dans mon petit logement. En sautant hors de son panier, Hannah a tout de suite su qu'elle était enfin chez elle. Elle s'est dirigée tout droit vers sa gamelle de croquettes, avant de sauter à la fenêtre contempler comme pour la première fois sa cathédrale, et s'est mise à ronronner, heureuse que ces longs voyages où elle a été ballottée de bras en bras, soient enfin terminés. Avant même d'arroser les plantes, d'ouvrir le courrier, de remettre en route le frigo, je me suis quant à moi dirigée vers mon ordinateur, et, dans un vieux réflexe, ai appuyé sur le bouton de marche.

Je suis revenue. Je suis résolument revenue, comme l'année dernière presque à la même époque.

Eva.

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