Bonsoir Fred,
J'ai passé toute la journée comme j'ai passé le week-end : à tourner en rond entre mes quatre murs en me regardant le nombril et en me trouvant pathétique.
Le lundi est la seule journée de la semaine où je n'ai pas d'obligations extérieures et où je peux prendre de l'avance dans mon travail. Mon moi conscient et réfléchi s'était donc promis de préparer mes cours pour la fin de la semaine. Mais en fait, c'est à peine si j'ai écrit deux lignes. Mon moi inconscient et inconstant n'a cessé de me mener par le bout du nez toute la journée. Il jouait avec mon moi conscient et avec sa mauvaise foi. J'ai passé mon temps à me trouver des excuses et des occupations pour ne pas avoir à travailler. Je suis sûre que cela t'es déjà arrivé : tu sais, tu te mets brusquement à décaper la salle de bain ou à trouver expressément urgent de classer des vieux papiers qui traînent depuis des mois, juste pour trouver autre chose à faire que ce que tu dois faire. Il ne faut jamais commencer à discuter avec sa conscience, car elle est fourbe et insidieuse. Elle trouve tous les meilleurs arguties pour te détourner de ton devoir.
J'ai donc trouvé aujourd'hui tous les moyens imaginables pour ne pas travailler. J'ai fait la vaisselle, nettoyé les plaques électriques en m'acharnant à frotter très fort pour enlever toutes les saletés. J'ai classé par taille décroissante les vêtements dans ma penderie (non, ça ne s'invente pas ça !). J'ai réfléchi un long moment en multipliant les essais pour trouver une place plus adéquate à mon téléphone nouvellement délogé par mon scanner. J'ai rangé les coussins par harmonie de couleurs sur mon canapé. J'ai lu des vieux mails d'une liste de diffusion à laquelle je suis abonnée, en classant les messages dans des dossiers. J'ai aligné les icônes sur le bureau de mon P.C., classant, jetant, déplaçant multiples fichiers. C'est tout juste si j'ai réussi à me retenir de tailler mes crayons de couleurs ou à classer par ordre alphabétique les boîtes de conserve qui traînent dans mes placards de cuisine !
Bref, j'ai tout fait pour ne pas avoir à penser. A penser à vendredi et à ma vocation violemment mise à mal. A penser à ce coup de fil tant attendu qui allait me dire si j'étais aussi mauvaise prof que ce dont j'étais convaincue.
Mais il fallait bien y repenser à un moment ou à un autre. Ce soir, j'ai donc téléphoné au collègue qui était venu assister à mon cours. Il a reconnu que j'étais fatiguée ce jour là et que mes élèves étaient peu concentrés, énervés et particulièrement lents. Il m'a fait toute une liste de choses à faire, de petits détails auxquels il fallait veiller.
Mais... mais c'est tout. Il s'avère que je me suis montée la tête pendant trois jours me contemplant au bord d'un gouffre imaginaire. Apparemment ce n'est pas si catastrophique. Je me suis mortifiée pendant trois jours au fond de mon lit ou avec mon chiffon à poussière pour rien. Je me suis enfermée dans mon désespoir pour rien.
La morale qu'il faut retenir de tout cela, c'est qu'il ne faut jamais commencer à s'interpréter soi-même. Nous sommes toujours de nous-mêmes les plus dangereux herméneutes.
Mais assez parlé de moi. Et toi, Fred ? As-tu une bonne nouvelle à m'annoncer ce soir ?
Eva.
Bonsoir Eva,
Mon titre à moi aurait été "Thelma & Louise, Orange Mécanique, la Raison ou la Passion ?"
"Mais qu'est-ce que c'est que ce titre ?", vas-tu me dire ; c'est rien, j'ai hésité depuis quelques jours entre tout ce que je voulais te raconter et les titres se sont bousculés...
Thelma et Louise, tu te souviens ce road-movie avec Suzan Sarandon et Geena Davis fofolles qui partent en virée, rencontrent le jeune Brad Pitt avant de fuir vers leur destin... Raconté comme ça, je me demande pourquoi c'est la première chose qui me soit venue à l'esprit lorsque tu m'a envoyé le mail de Marie, qui s'apprêtait à traverser l'Europe en voiture avec sa nouvelle copine du net ?
Ensuite Orange Mécanique... Quand je me suis réveillé dimanche, ou plutôt juste avant de me réveiller, je me suis demandé si ce dont je me souvenais était réel ou le souvenir d'un rêve de fin de nuit ; quelle violence ! et là c'était moi qui devais fuir, après en avoir pris plein la tête ou pour éviter d'en prendre plus... C'est en me souvenant que je n'avais pu "leur" échapper qu'en m'envolant, que j'ai compris qu'heureusement ce n'était qu'un rêve ; Tu as déjà rêvé, toi, que tu volais ? que tu pouvais te jeter d'un arbre et en "battant des bras", aller plus haut, plus loin et te poser gentiment là où tu le voulais ??? Moi, je l'aime bien celui-là !
Et enfin, la Raison ou la Passion, c'est ce que j'éprouve ce soir par rapport à ce boulot que je pourrais accepter ; mais est-ce que je le dois ???
Pour la première fois depuis que je travaille, j'ai trouvé un truc qui correspond à ce que j'aime faire (habituellement) en dehors du travail : quand on a un hobby, un sport préféré et qu'on peut en faire son gagne-pain, n'est-ce pas l'idéal ???
Le problème en substance, c'est que je n'ai pas (encore) l'impression d'y gagner correctement ma vie... et quand je dis, correctement, je ne parle pas là, de faire fortune, non, non, juste du minimum et encore !
Alors, la raison doit-elle l'emporter ? Ou pour une fois, est-ce que la passion peut tout balayer ??? Cette semaine me portera-t-elle conseil ? Est-ce que ton "futur" chaton pourrait me donner son avis ?
En attendant, moi, je vais te donner le mien : "Bonne nuit, et à demain..."
Donc, pas encore de bonne nouvelle, mais un gentil "Ciao",
Fred.
PS : Bon et ce fond d'écran, on le garde ou pas ?