Photographier l'instant



pour m'écrire

























































hier demain
Mardi 3 avril 2001

Cela fait plusieurs mois que j'ai envie d'acheter un appareil photo numérique. J'étudie les catalogues, compare les prix, me laisse tenter, puis me reprends, mon porte-monnaie criant qu'il ne peut pas se dégonfler à ce point là. Ma raison me dit bien que si j'achetais un tel appareil, ce serait surtout par caprice, car je m'en servirai surtout pour ce journal : je n'aime pas la qualité des photos imprimées via ordinateur (de toute façon mon imprimante n'est pas assez puissante) et comme j'ai l'habitude de prendre pas mal de photographies pendant mes vacances et que j'aime bien ensuite les regarder en les mettant sous mes yeux ou dans des livres, j'imagine que je continuerais surtout à prendre des photos traditionnelles sur papier glacé.

Pourtant, j'ai envie de prendre des photos anodines. Des photos de mon quotidien, des photos sans intérêt autre que celui de l'instant ou, au contraire, de la saisie de l'habitude. De telles photos ne mériteraient pas que l'on dépense le prix d'un développement photographique, mais il me semble qu'elles seraient un complément nécessaire à ce journal écrit. En effet, il me semble souvent que les mots sont impuissants. Je voudrais dire l'instant, je voudrais retranscrire l'habitude, je voudrais éterniser le quotidien, mais souvent les mots pour cela me paraissent trop petits, trop timides et incapables de donner à voir la totalité et la variété d'une sensation ou la précision d'un paysage. J'aimerais vous faire voir les petits détails devant lesquels je passe et qui m'étonnent ou me font rêver. Je m'imagine que ma vie mise en photo vous pourriez la suivre avec plus de proximité encore que je ne parviens à la faire entrevoir à travers les mots.

Vous montrer...
...les pommiers en fleurs sur la route de Poulpeville,
...la cheminée rouge et noircie par la fumée que je vois depuis ma fenêtre à mon bureau,
...les deux rails sur la voie ferrée dont j'admire la parallèlité à chaque fois que j'attends le train,
...les statues grotesques représentant des lions devant lesquelles je passe chaque matin,
...le stylo en forme de perroquet avec lequel je fais mes comptes,
...mes tulipes rousses qui meurent chaque jour un peu plus et que je ne veux pas jeter,
...l'arrogance de mon réveil lorsqu'il affiche présomptueusement "6 heures" le matin avec ses chiffres rouges,
...la pensée orange que je viens de planter dans un petit pot avant qu'elle ne soit dévorée par mon chat,
...ma peluche "marmotte" qui me parle chaque jour de la montagne qui m'attend,
...le soleil qui rosit la cathédrale en se couchant,
...le matin brumeux qui efface le fleuve dans la fraîcheur,
...les moustaches d'Hannah lorsqu'elles me caressent pour m'inciter à me lever...

Tout cela... et surtout tout le reste. Tout ce qui ne peut se contenir dans les mots. Tout ce qui n'a d'autre intérêt d'être une part de ma vie, ensemble mêlé et condensé de mes images quotidiennes qui m'accompagnent en silence à chaque heure de ma journée. Mes photos n'auraient aucun rapport avec une Web-cam arrogante et voyeuse. Ce seraient juste des morceaux de regards arrachés à mes yeux, des portions d'images volées à la matérialité de mon existence. Prolonger mes pensées dans les mots ne suffit pas. J'aimerais aussi pouvoir prolonger mes visions, afin d'offrir au temps arrêté un bout de mon existence qui s'écoule.

Mais est-ce seulement possible de voler chacun de ces instants à la fluidité du passage du temps ? A vrai dire, si je n'achète pas d'appareil numérique, n'est-ce pas non pas que le coût est trop élevé, mais que j'ai peur de m'apercevoir qu'il est impossible de fixer le temps sur une pellicule photographique et qu'il est donc condamné à se perdre dans l'oubli ?

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Ce que je lis en ce moment : Persuasion - Jane Austin
(en fait, cela fait une semaine que je n'y ai pas toucher... le temps me manque)
Ce que j'écoute : Madonna (souvenirs souvenirs !)
Nombre d'élèves ayant "oublié" de venir à mon interro : 8
Nombre d'élèves qui vont devoir ne pas oublier de venir faire l'interro le prochain matin à 8 h : 8 (hé hé !)
Nombre de minutes qu'il m'a fallu consacrer à la préparation de cette nouvelle interro : 45 (merci les gars)