Vendredi 22 juin 2001

Quand vous marchez le soir tombant sur les routes d'été, en laissant derrière vous le soleil amorcer son coucher, vous vous laissez souvent dépasser. Un immense bonhomme aux jambes démesurées vous précède inexorablement du fond de son obscurité. Vous avez beau courir à vive allure, vous cacher dans les broussailles ou bien tenter de tirer aussi vite que Lucky-Luke, rien n'y fait. Toujours cet être étrange qui ne semble vouloir vous laisser partir vous précédera et en vain vous pourrez le dépasser ou même parvenir jusqu'à son niveau. A moins bien entendu que vous vous retourniez. Mais si vous marchez face au soleil, en plissant un peu le bout des paupières parce que même vieillissant les rayons lumineux piquent les yeux, vous aurez toujours votre homme dans les jambes. Vous retournant brusquement, vous le trouverez fidèlement derrière vous, en train de vous narguer d'un air placide mais terriblement énervant.

Je sais bien que ce bonhomme n'est autre que moi-même. Un moi-même anamorphosé. Un moi-même imagé. Un moi-même ombragé. Mais, c'est moi plus que jamais. Je ressemble à cette ombre : une grandeur qui se croit infinie et qui en fait dissimule dans ses formes outragées une petitesse presque honteuse de soi et douloureusement vide et creuse. J'ai l'impression de passer mon temps à dessiner extérieurement une image de moi qui serait plus grande, plus belle, plus forte, simplement pour dissimuler ce que je suis véritablement. Je projette en dehors de moi une image bien trop grande pour moi. L'image se doit d'être grande et belle. Car qui accepterait de vivre avec sa propre misère ? Mais ce n'est qu'une image : il y a nécessairement un décalage avec l'original, une différence intrinsèque n'offrant entre l'ombre et son modèle qu'un rapport analogique.

J'ai besoin de me croire grande pour m'accepter et, je m'en persuade, pour me faire accepter. Mais en fait... mais en fait je suis toute petite, toute petite, vraiment toute petite...