Oui oui... |
Jeudi
8 novembre 2001
Je me souviens d'avoir rencontré mon ancienne prof de français la veille de Noël, l'année où je préparais l'agrégation. C'était au rayon "téléphonie" de Darty. Il faisait une chaleur intenable. Pendant que j'étais en pleine discussion avec mes parents pour savoir quel téléphone-répondeur on allait acheter, ma prof était en pleine délibération avec sa fille qui voulait à tout prix qu'on lui offre un téléphone portable. On avait parlé, entre deux téléphones et sous les musiques obsédantes des spots de promotion de fin d'année. "Il ne faut pas trop que tu travailles, Eva !", avait conclu ma prof en me quittant, ayant eu le temps de bien voir mes cernes et ma fatigue. C'est étrange en y pensant un prof qui dit à son élève de moins travailler. Ce n'est pas banal. Mais quand je préparais les concours, cette injonction était plus d'actualité que son contraire. En écoutant ce conseil, j'avais ôté la tête en souriant en répétant "oui oui", l'air détaché. Ma prof m'avait tapé sur l'épaule : "ah je te connais, tu dis "oui oui", mais en fait tu finis toujours par faire ce que tu veux sans écouter personne". Et en effet, même après avoir dit "oui oui" à mes professeurs et à mes parents, j'ai continué à n'en faire qu'à ma tête, n'écoutant que le seul impératif que je m'étais donné, obnubilée par ma seule volonté. Comme quoi, les gens qui vous connaissent peu sont peut-être ceux qui vous disent le plus de vérité sur vous-même... J'ai toujours fui les conflits. Surtout ne pas faire de vague. Ne pas contester trop faire. Concilier. Accorder. Tempérer. Empêcher les gens de crier trop fort. Sourire et dédramatiser. Mais cette attitude n'est qu'une lâche résolution, une tactique trompeuse pour en vérité avoir la paix. J'écoute les conseils, je hoche la tête, j'acquiesce en souriant, et je vais même jusqu'à peser l'avertissement et à en mesurer la portée. Pire, je demande ce conseil, je le réclame, en ai besoin. Mais, en fin de compte, je finis toujours par choisir moi-même, seule, sans respecter les commandements qu'on a pu me donner. Je dis "oui oui" et finis par n'en faire qu'à ma tête. Je n'aime pas qu'on veuille me faire entrer dans des moules. Je suis trop disciplinée et respectueuse pour me révolter ouvertement. Mais lorsque l'on cherche à forcer mon caractère ou qu'on prétend savoir le corriger, je plie le dos un moment pour mieux me redresser et fuir loin afin d'avoir enfin la tranquillité. Je ne suis dans un moule qu'en apparence. Je n'accepte les lois des autres qu'extérieurement. Dans l'intériorité de ma conscience, j'en refuse bon nombre d'elles. J'écoute ce que l'on me dit. Je suis trop polie pour tout rejeter d'un bloc et me boucher les oreilles. Mais je n'agis qu'à ma guise. J'ai un caractère trop indépendant pour qu'il accepte de se laisser dépendre d'un extérieur qu'il n'a pas choisi. Pourtant, cette attitude n'est-elle pas lâche en fin de compte ? Qui oserait qualifier d'"esprit libre" celui qui n'osant affirmer sa liberté la cache sous des apparences de docilité et d'obéissance ? Parfois je m'en veux d'être incapable de crier ouvertement mon désaccord ou d'avouer spontanément ma critique. Je me sens alors faible et vulnérable et j'envie ceux qui savent s'affirmer envers et contre tout. Et puis en même temps, il reste que même en recul, ma liberté est tout de même présente. Elle n'est pas dans l'absence de tout lien, ni dans la rupture brutale avec toute autorité extérieure. Mais elle est dans le pouvoir intérieur de penser en me penchant sur moi-même, dans la résolution consciente d'être le seul juge possible de mes actions, dans la confiance - même fragile - en ma propre capacité d'observation et de réflexion. Peut-on être lâche et libre à la fois ? ![]()
Il y a un an.
Il y a deux ans. |