Détermination intérieure |
Samedi
12 janvier 2002
Un de mes lecteurs qui m'observe avec complicité m'a écrit l'autre jour qu'il était étonné que je lui avoue que je me jugeais bien souvent "trop gentille" et pas assez assurée. Il m'a avoué qu'au regard de mon écriture et de l'image de moi que j'y donne, j'ai "l'air assez déterminée et sûre de [moi]". "A la limite, j'aurais presque pensé qu'il valait mieux ne pas trop s'opposer à toi parce que tu paraissais ne pas être du genre à te laisser marcher sur les pieds", a-t-il ajouté dans son message. En lisant ces quelques lignes, c'est à moi d'être étonnée. La fille déterminée et sûre d'elle-même et de ses certitudes qui sait faire passer les autres par là où elle veut très exactement ce n'est pas moi du tout. Cela ne l'a jamais été et, plus je grandis, plus je me dis que cela ne sera jamais. Alors pourquoi mon lecteur qui, en un sens, me connaît très bien a-t-il pu se tromper autant sur moi ? Connaissant moi aussi assez bien mon interlocuteur, je ne crois pas à une erreur de lecture ou à une précipitation du jugement. La seule hypothèse valide, c'est de dire que je donne effectivement cette image là de moi. Cette image de la fille convaincue et déterminée qui ne se laisse pas facilement remettre en question. Je n'ose croire même qu'on puisse me juger arrogante et hautaine. Mais peut-être est-ce le cas, après tout ? Est-on maître de l'impression que l'on crée sur autrui ? La question que je me pose principalement, c'est de savoir pourquoi j'éprouve le besoin presque inconscient de me former une image de fille sûre d'elle et affirmée, de fille parfaite presque, car il est connu que l'on donne à la perfection les qualités inverses à nos défauts. En fait, je crois que c'est que je refuse ce côté faible et fragile de moi-même. Je n'aime pas la partie de moi qui est timide et hésitante. Les jours où je ne vois qu'elle dans le miroir, je me déteste atrocement. Tout à la fois je me reconnais trop et pas assez dans ce reflet maladroit de moi-même. Trop, parce que je sais bien que j'ai toujours été dévorée par cette angoisse de ne pas réussir à m'affirmer et à évoluer avec fermeté vis-à-vis d'autrui. Mais aussi pas assez, parce qu'au fond de moi je sais la direction que j'ai prise et n'en change pas si facilement. Je crois que c'est la présence d'autrui et le sentiment d'infériorité que je ressens souvent face à des personnes à qui j'ai une tendance à attribuer hyperboliquement des qualités qu'elles n'ont peut-être pas, qui me font me sentir faible et craintive. Autrui, surtout s'il m'est inconnu et différent de moi, m'apparaît comme une présence indistincte située face à moi et apparaissant comme un obstacle à l'affirmation de moi. Je suis mal à l'aise lorsque je suis avec des gens inconnus, car je ne sais pas tout à fait comment je dois être, n'osant pas véritablement être moi-même, de peur que ce moi-même ne soit pas apprécié pour ce qu''il est réellement. Inversement, lorsque je me sens en terrain conquis, seule ou bien en présence de gens qui savent qui je suis, je me sens infiniment forte. Je sais ce que je veux et ne renonce jamais au projet que je me suis fixé. Les amis qui me connaissent intimement savent que ma plus grande qualité est ma volonté. Volonté intrépide et inaltérable qui me fait rarement reculer devant un obstacle et qui m'a fait construire des réalités qu'on aurait pu croire impossibles. Je me souviens de la réflexion de cette prof d'histoire avec qui j'avais passé une colle en Khâgne. Je n'avais pratiquement pas ouvert la bouche de l'année et elle croyait que j'étais une jeune fille émotive et impressionnée par le monde extérieur. Et puis, m'ayant écouté parler pendant une vingtaine de minutes, à cette interrogation orale, elle s'était aperçue qu'elle avait été trompée dans son jugement par mon aspect timide. "Finalement, m'avait-elle avoué à la fin de l'examen, je vous ai mal considérée : vous êtes forte et je n'ai pas tant à craindre pour votre avenir". Faiblesse extérieure, force intérieure... Finalement ces deux adjectifs ne sont-ils pas dans le bon sens ? N'est-ce pas mieux que de jouer les durs alors qu'on est à chaque instant prêt à se casser ? Etant donné qu'on ne voit que mon aspect intérieur dans ce journal, il n'est en fin de compte pas si étonnant qu'on m'y trouve pleine d'assurance. Cette assurance, c'est l'envers de moi-même, ce moi secret qui souvent ne parvient pas à s'exprimer mais qui, pourtant, me correspond au plus profond de mon intimité. Je ne mens pas lorsque j'envoie de moi une image si déterminée. C'est juste que je montre simplement mon moi intérieur... et pas mon moi social. ![]()
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