Les lauriers sont coupés




pour m'écrire









































hier demain
Lundi 11 mars 2002

Parfois, je les entends, ils disent Putain, qu'est-ce qu'elle est belle la vie !, et moi alors, je regarde autour de moi, mais je ne vois que de la gadoue et des orties, des orties qui piquent et qui laissent des petits boutons rouges sur la peau en plus, alors je me dis Merde ! Mais où est-ce qu'ils la voient la beauté ? Comment ils font pour faire pousser des fleurs dans de la boue ?, ben oui, c'est vrai, Pourquoi la gadoue, elle me salit les mains et pas à eux, Pourquoi son odeur me donne la nausée et pas à eux, non, je me dis C'est pas juste, Moi, On m'a mal fait, Ou alors je suis une erreur de conception, un problème mécanique, une histoire de boulon qui débloque, Que sais-je, c'est forcé qu'il y a un truc qui cloche, sinon je serais capable de la voir, la beauté de la vie, avec ses petites fleurs roses, ses oiseaux qui font cui-cui et ses garçons et ses filles qui s'appellent mutuellement "mon amour" en se caressant les cheveux, non, je serais pas là, à mater des inepties à la télé en crachant sur la culture qui s'auto-détruit, à rentrer mes larmes pour faire croire que je suis forte alors que je suis prête à me casser à chaque instant, à passer sous silence toute une partie de mon métier parce que je l'aime pas, et que ça me fait culpabiliser de ne pas l'aimer, Et puis quand je suis comme ça, quand j'entends plus les oiseaux qui font cui-cui et que je me mets à me persuader que plus personne ne posera la main sur mes cheveux en murmurant dans mon cou, quand je suis comme ça, je m'aperçois que ma vie perd toute structure, toute logique, toute forme esthétique, qu'elle se désarticule, comme un pantin qu'aurait plus de tête et à qui on aurait arraché un bras, que tout ça ça marche plus droit, et que le langage, par conséquent, il ne peut plus être prodigue de sens, parce que des phrases sensées avec de vrais "par conséquent" qui ne seraient pas là que pour la déco, ça peut pas aller avec une réalité qui n'a pas de tête, et qui ne sait pas vers quoi elle va, et si même seulement elle va quelque part, parce que si le monde il n'a pas de logique, c'est pas juste que le langage et la pensée ils en aient une, il faudrait au contraire que tout se juxtapose, sans point ni soupire entre les mots, juste pour dire combien la vie peut parfois être étouffante et combien le langage peut être incapable de l'aider à respirer s'il s'évertue en vain à expirer du sens qui n'existe pas, Non, les mots sont trop alignés les uns à côté des autres, sur les petits carreaux des cahiers, et ça renvoie à rien, car la vie, elle est pas alignée, elle part dans tous les sens et jamais, non jamais, on arrive à la rendre rectiligne et à comprendre vers quelle chronologie menteuse elle s'étale, Et puis tiens, une phrase comme ça, elle mérite pas même de point, il faut juste qu'elle finisse en queue de poisson, exactement comme la vie, pardi

dans l'ascenseur, ça monte et ça descend