Un amour passionnel |
Jeudi 18 avril 2002
Hier, au cours d'allemand, afin de travailler les comparatifs et les superlatifs, notre prof nous a demandé ce qui était le plus important pour nous (Was ist für Sie am wichtigsten ?"). Cela l'a fait sourire lorsque j'ai répondu la seule chose que je pouvais répondre si je voulais être honnête : mon ordinateur. "Ohne mein Computer kann ich nicht leben" ai-je baragouiné avec mon abominable accent (si abominable que je ne comprends pas que ma prof ne se décourage pas à me faire articuler sans cesse des sons qui semblent décidés à ne pas vouloir sortir de ma bouche). C'est vrai, sans ordinateur, je ne pourrais pas vivre... du moins, j'aurais du mal.
C'est une relation passionnelle, car j'aime mon ordinateur autant que je le déteste. Hier, je lui ai voué une haine profonde. Il ne m'écoutait plus, n'en faisait qu'à sa tête, me manquant même carrément de respect, butinant là où je lui avais interdit d'aller. Je lui en ai voulu très fort de me négliger ainsi. Et lui aussi. La preuve, c'est qu'il a passé la soirée à bouder, me lançant des bestioles (des bugs) en pleine figure ou allant se dissimuler devant un dramatique écran bleu à l'"Erreur Fatale". A bout de nerfs, j'ai fini par tout plaquer, appuyant sur le bouton "Off", sans plus même me soucier de lui dire gentiment au-revoir. Mais ce matin, miracle ! Quand je l'ai allumé (depuis mon lit, avant même d'être complètement levée), il m'a fait aussitôt un large sourire et m'a accueilli à bras ouvert. Visiblement, la scène de ménage d'hier soir était oubliée et il était prêt à toutes les attentions pour moi, m'obéissant au doigt et à l'oeil, et même me comblant de mots doux. Du coup, je l'ai bichonné, l'emmenant chez le médecin (docteur Norton est un très bon praticien). Je lui ai donné quelques pilules (un bon scan et une longue défragmentation pour lui remettre les idées en place). Je lui ai aussi renouvelé sa garde-robe, jetant à la poubelle les fringues qui ne lui allaient plus ou qu'il ne portait plus (d'obscurs logiciels jamais ouverts) et lui achetant de nouveaux habits, tous à la dernière mode. Je lui ai même fait quelques cadeaux pour qu'on s'amuse ensemble. Depuis, c'est de nouveau le grand amour. On marche main dans la main (pardon, main sur le clavier) et on ronronne en coeur (enfin surtout lui, avec son moteur). Du coup, devant un bonheur aussi parfait, c'est Hannah qui m'a fait une scène de jalousie. Il faut dire que mon chat supporte difficilement de partager ma présence avec ce fichu ordinateur qui parfois attire plus mon attention qu'elle ne le voudrait. Quand j'arrive le soir chez moi, il m'arrive d'allumer d'abord le P.C. avant de donner des croquettes à ma minette. Et ça, elle ne le supporte pas. Il lui arrive d'avoir des accès d'agressivité quand elle me voit pianoter sur le clavier, sans porter un seul regard sur elle. Alors, elle vient devant l'écran, me bouchant totalement la vue et est prête à montrer les crocs dès que j'ose faire un geste avec la souris. C'est vrai que souris et chat n'ont jamais fait bon ménage. C'est vrai également que j'ai aussi une relation passionnelle avec mon chat... mais c'est là une autre histoire. Ce que j'apprécie dans les ordinateurs - et dans le mien en particulier -, c'est qu'ils satisfont mon besoin d'ordre. Je ne suis pas foncièrement quelqu'un d'ordonné. J'entasse les vêtements sur les chaises, laisse traîner la vaisselle dans l'évier et ne fait pas mon lit tous les jours. Mais, régulièrement, j'éprouve un plaisir fou à tout ranger - à instituer une place spécifique à chaque objet et à la respecter. Et là, alors, rien n'est dû au hasard.
J'institue la même logique avec mes cours ou encore avec tous les papiers que j'accumule. J'ai des tas de dossiers dans les placards : des factures (classées par catégories), mais aussi des articles de journaux, ou encore des documents pour mon travail (rangés selon l'ordre alphabétique des notions et des thèmes dans un grand classeur), ou bien des lettres (classées par ordre d'arrivée). Ce que j'aime ainsi avec l'informatique, c'est que je peux satisfaire mon irrépressible besoin de classement. Je crée des dossiers en un clic de souris, fais des sous-dossiers et des sous-sous-dossiers et dispose des icônes sur le bureau, pour avoir tout à portée de main. J'ai presque autant de dossiers virtuels dans mon disque dur que de dossiers matériels dans mes placards. Un dossier pour mon journal, un autre pour mes photos, un autre pour mes cours, un autre pour des extraits de texte que j'archive, un autre pour mes écrits de fiction, etc. J'ai institué dans mon ordinateur un ordre qui me ressemble et dans lequel je me reconnais et même me sens bien. C'est pour cela que je l'aime mon ordinateur : il est aussi maniaque que moi lorsqu'il s'agit de classer et d'ordonner. Personne d'autre ne pourrait mieux comprendre ce désir inconscient d'ordre, c'est sûr.
Il y a un an.
Il y a deux ans. |