MAILER-DAEMON




pour m'écrire


















































































hier demain
Vendredi 19 avril 2002

Un message de MAILER-DAEMON, voilà tout ce qui me reste de lui. Unable to deliver message to the following address(es). User unknown. Voilà simplement ce que peut me dire, par l'intermédiaire d'un automate, Fred, celui qui a commencé avec moi ce journal. C'est comme recevoir une enveloppe qu'on a envoyée des semaines auparavant et sur laquelle le facteur a inscrit : N'habite pas à l'adresse indiquée. Tu ne sais pas trop ce que tu dois faire avec cette lettre que tu as écrite et que personne n'a lue : l'ouvrir et la relire ou la jeter ? se lancer dans des recherches incertaines ou oublier ?

Depuis quelques jours, je réfléchis au début de ce journal et à son utilité. Tout à l'heure, j'ai eu envie de savoir ce que mon co-écriveur des premiers temps était devenu, de comprendre pourquoi il ne m'écrivait plus depuis près d'un an et demi, de savoir s'il existait encore - du moins virtuellement -, s'il avait encore un oeil sur les journaux en ligne qui nous avaient réunis au début. Mais rien. Rien que ce message de MAILER-DAEMON. Un message du vide et de l'absence. Même pas écrit en français. Même pas écrit par une vraie personne - un être humain qui aurait un corps et une conscience. J'ai commencé à faire une petite recherche dans Google. Mais impossible de le retrouver. D'abord parce que j'ai trop peu d'informations à ma disposition pour me mettre sur sa piste. Ensuite parce qu'il y en a des centaines d'hommes qui portent le même nom que lui, mais que ce n'est jamais lui.

Ce n'est pas si grave. Je n'avais rien de spécial à lui dire. Juste peut-être un merci. Un merci pour ce journal. Un merci pour ce coup de pouce qui m'a lancé dans cette aventure il y a si longtemps déjà. Un merci pour m'avoir un jour donné un espace où écrire et des yeux qui me lisent. Un merci pour tout cela... C'est déjà beaucoup.

Aujourd'hui, toute cette époque - toute cette époque où j'étais une étudiante parisienne, pas bien sûre d'elle, horriblement angoissée par le monde d'adulte qui l'attendait - me semble si loin, loin dans mes souvenirs. Des souvenirs pas bien heureux même. Je n'ose pas relire ces premières pages. Tout cela est désormais révolu. Je ne suis plus la même. La fille en rouge des premiers mois d'écriture sur le net ne me ressemble plus vraiment. C'est une autre.

Est-ce cela qu'a voulu me dire MAILER-DAEMON ? Que le passé est dépassé, qu'il a trépassé ? Que ce n'est pas la peine de penser aux personnes qui ont un moment donné croisé mon chemin - même virtuel - parce qu'aujourd'hui elles ne pourront n'être plus que des ombres du passé ? MAILER-DAEMON est peut-être un démon, en effet, comme il se le dit lui-même. Son message est macabre : avec son user unknown, il vient me dire que le temps et ses acteurs passent et qu'il efface tout sur son passage. Fred n'est plus aujourd'hui qu'un fantôme. Un fantôme dont il ne reste plus qu'un nom, quelques pages bleues datées des jours passés, et c'est tout. Pas même un visage. C'est presque inquiétant de se rendre compte d'une façon aussi violente de la fugacité des rapports humains - surtout de ceux qui se passent sur internet. Les gens qui faisaient ma vie hier ne sont plus les gens qui font ma vie aujourd'hui. On ne se croise plus. On n'existe plus l'un pour l'autre.

C'est peut-être bien dans un certain sens. Retrouver Fred, ce serait retrouver la jeune fille d'il y a trois ans, celle qui avait si peur de l'avenir que pendant quelques mois elle avait interdit à son corps de grandir, celle qui redoutait tant d'avoir à tout quitter, à tout laisser. Je ne veux pas vraiment la retrouver cette fille là. Je suis contente qu'elle n'existe plus. Peut-être est-ce ainsi que cela se passe : une partie de soi meurt et tout ce qui composait cet être là meurt avec lui. De la même façon, qui a survécu à la petite fille qui jouait à l'élastique dans la cour de l'école avec Gaëlle qui portait un "de" dans son nom de famille, ou avec la timide Florence qui venait de la Réunion ? Et que reste-t-il de la collégienne qui rêvait d'être danseuse étoile et qui inventait des chorégraphies avec E., sa meilleure amie ? Et la lycéenne qui ne pensait qu'à lire et qui se sentait si différente des autres, où est-elle ? Tiens, j'arrive à peine à citer aujourd'hui les noms de ceux qui habitaient mon existence à ces époques successives. Ils sont morts pour moi. Ils ne sont plus que des visages sur les photos d'école. Tout comme l'est aussi la petite fille blonde à la queue de cheval.

MAILER-DAEMON, je ne sais pas si je dois lire ton message avec nostalgie - nostalgie d'une époque désagrégée -, ou avec espoir - espoir d'un temps qui continue de s'écrire. Je n'aurais pas cru, cher automate, qu'avec ces quelques mots - User unknown - tu pouvais m'en dire autant sur le temps qui passe. Le temps qui me dépasse...

sur le bord de ma table



Il y a un an.
Il y a deux ans.