"Madame, |
Lundi 22 avril 2002
Beaucoup d'images, beaucoup de mots... Une nuit horrible, au bord des larmes, un somnifère ne voulant pas même me donner le sommeil... Au réveil, des messages de lecteurs dans ma boite-à-mails, me témoignant leur même stupeur... Le matin, à la radio dans la voiture, des gens qui pleurent et qui crient, mais qui exultent aussi. Au bout de cinq minutes, je coupe tout. Je sais sinon que je ne parviendrai pas à aller travailler, à parler et à faire comme si de rien n'était... Les mines déconfites dans la salle de prof... Le même nom aux lèvres... Les mêmes discours sans fin... J., effondrée, qui s'en veut d'avoir voté pour un petit parti... Une autre prof qui plaisante amèrement en demandant à un collègue d'origine marocaine s'il a déjà préparé sa valise... Quand j'ai vu les élèves, j'ai compris que je ne pouvais pas faire le cours prévu. Il y en avait qui avaient des tee-shirt "anti-FN". La plupart était anormalement silencieux. Ils attendaient que je parle. Ils avaient besoin d'en discuter. Je ne sais pas trop si j'ai dit ce qu'il fallait. Je n'ai sûrement pas respecté mon devoir de réserve. J'ai trouvé que beaucoup étaient très conscients des problèmes, très lucides sur la situation. J'ai essayé de faire comprendre à ceux qui hésitaient qu'ils ne pouvaient pas laisser d'autres décider à leur place de leur vie. J'ai voulu leur montrer ce que produisait l'ignorance, en leur montrant que les 20 % de Français qui avaient voté pour l'extrême-droite n'étaient probablement pas pour le plus grand nombre racistes, mais pour beaucoup ignorants. Et l'ignorance est le pire des maux. J'ai voulu les convaincre qu'on n'allait pas voter les yeux fermés, la peur au ventre, l'esprit illusionné par les paroles prétendues rassurantes des discours sécuritaires. Je leur ai dit que s'ils fallaient qu'ils retiennent une seule chose de toute l'année de cours avec moi c'est qu'ils se devaient être des adultes responsables. Responsables et impliqués. Certains, encore très enfants dans leur tête, ne comprenaient pas bien et ressentaient des émotions qu'ils ne parvenaient pas à expliquer. Mohamed, ne tenant plus sur sa chaise, a levé sa main : Tout à l'heure, à 13 heures, il n'y avait plus de quotidiens au kiosque à côté de chez moi. "On a été dévalisé", a dit la buraliste, effarée. J'ai dû me rabattre sur le misérable journal local. Les Français, d'un coup, semblent s'être éveillés de leur indifférence et de leur lassitude. Comme si c'était le moment, maintenant, au pied du mur, de faire de la politique, alors qu'on a passé des mois baignés dans le désintérêt et l'apathie la plus sournoise. C'est trop facile de dire que ce sont les autres - Chirac, Jospin, les petits partis, que sais-je - qui sont coupables. On semble oublier que Le Pen a simplement fait hier 2 % de plus qu'aux dernières présidentielles. Elle était là, la menace, devant nos yeux. Et aveuglés par la bêtise et l'inconséquence, on désirait ne rien voir, préférant regarder Loft Story et voter pour des idoles médiatiques. Mais c'est trop tard maintenant... La mauvaise conscience ne changera rien.
Il y a un an.
Il y a deux ans. |