Jeudi 28 novembre 2002

Lorsque tu liras ces pages
Il y a un texte de Marguerite Duras disant qu'une femme ne doit pas montrer ce qu'elle écrit à son amant. Comme si la pudeur la plus extrême ne consistait à se mettre nue entre les bras d'un homme, mais bien à faire tomber le voile des sentiments et des émotions intimes à travers la nudité des mots. Entrer véritablement en l'autre, ce n'est pas pénétrer dans son corps, c'est se faufiler entre les interstices de son âme et le filtre de son coeur. Peut-être que Duras a raison. Peut-être qu'une femme a besoin de garder de son mystère pour se faire aimer. Peut-être que l'amant ne doit pouvoir l'admirer que de loin pour continuer à être ému de son évanescente présence. Peut-être...

Pourtant je sais qu'un jour - bientôt peut-être - je te prendrai par la main et je te ferai lire ces pages. Te cacher ce monde intime de l'écriture, ce serait encore une fois fuir et me dissimuler dans la réserve méfiante du secret. Et je n'ai pas envie de fuir devant toi, comme avec tous les autres. Je n'ai pas envie que tu ignores qui je suis vraiment. Je n'ai pas envie que tu aimes quelqu'un que je ne suis pas, juste parce que je n'aurai pas osé me montrer complètement à toi. Donc un jour tu liras ces pages, je le sais.

Je ne sais comment je te le dirai. Comment avouer qu'il y a là, quelque part aux yeux de tous, plus de trois ans d'une vie qui s'est écrite en se cachant ? Cela semble insensé. Pouvais-tu deviner que j'étais insensée de cette façon là ? Pouvais-tu douter que mes silences sont peuplés de mots et que ce que je ne dis pas aux gens qui m'entourent et que j'aime je le dis à la terre entière ? Pouvais-tu imaginer que lorsque tu me vois observer le monde autour de moi avec tant d'acuité, c'est pour en retenir toutes les inflexions les plus authentiques afin de le faire entrer dans les Regards solitaires que je partage avec des inconnus ?

J'ai peur que tu ne comprennes pas. Pire, que tu sois choqué. En m'écrivant sur internet, tu vas peut-être croire que je m'exhibe, que je me donne à tous, voire que je me prostitue. Je jette mon histoire à la figure des gens - de gens que je ne connais pas et qui ne me connaissent pas. Je me dévoile plus que je n'ai jamais été capable de le faire dans la vie de tous les jours. Je me trahis, je m'avoue, je me découvre. Es-tu prêt à me voir nue ? Le veux-tu véritablement ?

J'ai peur que tu ne comprennes pas, mais j'ai en même temps l'intime conviction que tu découvriras très vite que les mots d'exhibitionnisme et de voyeurisme n'ont rien à faire ici, que ce n'est pas cette perversion du regard impudique qui se joue ici, entre ces pages. Tu verras très vite que je suis plus que jamais celle que j'écris, mais qu'en même temps l'essentiel est ailleurs. Me lire ici, ce n'est pas me partager avec des inconnus. Il n'y a que des brides de moi entre ces lignes. Des émotions volées au temps, des sensations retenues l'espace d'un instant, des réflexions développées dans la patience de l'écriture. Tu trouveras tout ces aspects de moi dans ces pages. Tu feras connaissance avec celle que j'ai été pendant plus de trois ans avant de te rencontrer. Tu auras une vision différente des événements de mon passé : un regard collant à l'instant immédiat, différent des récits rétrospectifs que je pourrais te faire sur les mêmes faits du passé. Mais si tu trouveras plus que tu en sais sur moi, en même temps tu en trouveras bien moins. Les confidences que j'ai pu te faire déjà, ces confidences offertes rien qu'à toi, tu les chercheras en vain à travers les pages de ce journal qui n'est que faussement intime. J'en dis beaucoup, mais je ne dis pas tout. Il y a des secrets que je ne garde que pour toi, ne t'inquiète pas.

Le jour où tu liras ces lignes, j'espère que toi aussi tu ne te mettras pas à avoir peur. Avoir peur que je t'échappe peut-être. Ou avoir peur de l'image d'une Eva trop parfaite et finalement peut-être intimidante. Eva est achevée dans une écriture travaillée et stylisée. Elle est plus belle que je ne suis. Si en la lisant tu te rends compte combien les différences entre nous sont importantes, quoi que tu en dises, ne soit pas trop effrayé, s'il te plaît. Je veux juste que tu m'aimes en toute connaissance de cause.

c'est toi qui as pris cette photo



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