Le temps passe. Et nous avec. Pourtant, depuis un peu plus une semaine, O. et moi vivons dans une autre temporalité - dans une sorte de passé immobile que, je crois, en français on nomme "nostalgie". Mais ce n'est pas une nostalgie jalouse d'un passé à jamais écoulé et béate devant un temps dont la mort n'a laissé qu'un idéal. Non, il s'agit plutôt d'une nostalgie émerveillée, presque incrédule. On regarde ce que l'on vivait l'année dernière, où on en était, et on n'arrive pas à croire qu'on a parcouru autant de chemin tous les deux.Chaque jour depuis presque deux semaines, nous nous posons la même question : il y a un an, jour pour jour, nous faisions quoi ? nous étions où ?
Il y a un an, le 25 octobre, nous nous rencontrions. C'était chez toi, dans ton minuscule studio. On était nombreux, entassés sur tes coussins jaunes qui, aujourd'hui, trônent sur le canapé du salon. J'étais timide et je n'avais quasiment pas dit un mot de la soirée. Tu avais fait un poulet au lait de coco. Tu te souviens ? Il y a un an, le 26 octobre, nous étions au Mont Saint-Michel à regarder les moutons prés-salés. Nous avions roulé toute la matinée avec H. et tout d'un coup nous avions vu la mer. Soudain si proche, soudain si libre. Tu te rappelles ? Il y a un an, le 28 octobre, nous dormions pour la première fois côte à côte, en toute chasteté, coincés dans nos duvets près de Ploumanach'. Nous avions planté la tente sous les pins. Nous avions attendu que la nuit tombe, car on n'avait pas vraiment le droit de bivouaquer près de la plage. On avait mangé dans le noir, accroupis devant notre soupe à la saucisse. Tu te remémores la scène ? Il y a un an, le 5 novembre, de retour chacun dans notre ville, tu m'envoyais une lettre - la première - la plus folle - la plus invraisemblable - la plus sincère. Et moi, je ne savais plus rien. Sauf qu'à partir de ce jour là, j'ai appris à ne plus dire non - à ne plus dire non à mes désirs. Tu as le souvenir de cette fameuse lettre ?
Il y a un an, le 1er novembre 2002, nous marchions côte à côte dans les rues de Rennes. On se perdait dans le marché, parmi les fruits de mer et les citrouilles d'Halloween, et on reculait le moment du retour inévitable à Paris, car on sentait inconsciemment que ces vacances magiques devaient avoir une fin, inévitablement. Mais l'histoire ne s'est pas terminée. Au contraire. Aujourd'hui encore, elle ne fait que commencer. Le 1er novembre 2003, nous avons pendu notre crémaillère. Une fête en bonne et due forme. Comme pour dire, voilà, officiellement, ici, c'est chez nous. Il y a nos deux noms sur la boîte aux lettres et nos vêtements qui sont mélangés dans la penderie. Oui, vraiment, c'est chez nous. Alors, pourquoi, je n'arrive pas à croire que c'est vrai ? Pourquoi cela me semble être un rêve ?
C'est vrai, il n'y a pratiquement pas un jour où nous ne nous disputons pas. Les différences entre nous sont trop grandes. Ce sont deux mondes qui se heurtent et les chocs font des étincelles. Mais nous ne nous y brûlons jamais et nos réconciliations sont deux fois plus nombreuses et intenses que nos disputes.
Il y a un an, j'avais peur d'aimer. Aujourd'hui, j'ai juste peur que cet amour ne soit pas pour toujours.