Vendredi 3 juin 2005

Vacances berbères
Le problème, avec les vacances, ce n'est pas tant qu'elles sont toujours trop courtes, mais c'est que les bénéfices qu'elles apportent disparaissent aussitôt. Une semaine de vacances passée sous d'autres horizons. Un retour lumineux et enthousiaste. Et voilà, quelques jours après seulement, stress, fatigue et tristesse sont revenus. C'est étrange comme tout est de retour si vite : à croire que ces poids trop lourds n'étaient jamais partis.

Pourtant, ces jours de vacances - les premiers depuis l'été dernier - étaient dépaysants et agréables. Et puis surtout imprévus. Ce que l'on avait fixé, c'était partir faire du vélo en Bretagne, avec tente et réchaud sur le porte-bagages. Mais, les yeux rivés sur la carte météo, on a fini par désespérer d'y repérer la moindre trace de soleil et on s'est dit que finalement, puisque le soleil ne venait pas à nous, ce serait peut-être mieux de venir à lui. Deux-trois clics sur Internet, et hop l'avion est réservé. Les pulls en laine et les impers sont virés du sac à dos, troqués par des tee-shirts sans manche. Et voilà, deux jours plus tard, nous voici partis sous d'autres cieux : les hauts plateaux de l'Atlas marocain.

à flanc de montagne

Pendant ces quelques jours de marche dans la montagne, parmi les villages berbères, j'ai cru que j'avais été soudain projetée dans le décor d'un film. Un film racontant la vie des paysans au XIXe siècle. Naïve que j'étais, avec mes mauvaises habitudes d'Occidentale aisée et citadine, je croyais bêtement que la technique orientait les vies de tous les habitants de la planète. A vrai dire, je n'essayais même pas d'imaginer l'existence de ces gens qui vivent ailleurs qu'autour de moi et je ne faisais de l'expression "Tiers Monde" qu'un terme de vocabulaire des manuels de géographie économique. Il me faut partir à trois heures d'avion de Paris pour brutalement me rendre compte qu'il faut que j'ouvre les yeux. Durant mes quelques jours de marche, j'ai traversé des villages qui n'avaient pas l'électricité, visité des maisons en torchis au sol incertain, croisé des femmes avec d'énormes ballots de paille sur les épaules, aperçu des enfants passant plus de temps dans les champs que sur les bancs de l'école. Le plus étonnant, cela a été de voir combien la montagne était habitée. Je connais un petit peu les montagnes françaises : on y croise quelques moutons, très rarement accompagnés d'un berger, et lorsqu'on voit des bâtiments, ce sont la plupart du temps des cabanes en ruine ou bien, au contraire, des résidences secondaires richement aménagées. Au Maroc, au contraire, les montagnes sont grouillantes de vie. Il était rare de marcher plus de dix minutes sans apercevoir un gamin poussant son mulet, ou bien un groupe d'enfants allant à l'école excentrée du village, ou encore des hommes battant le foin pour récolter les grains de blé. La vie partout, à chaque détour de chemin.

Les mains des femmes étaient craquelées par l'eau glacée des torrents servant de machine à laver, pourtant, aucune d'elles n'avaient l'air malheureuses. Partout, on voyait les efforts, le travail, la pauvreté. Mais partout aussi, on voyait des sourires, des rires et des chants. Au fond, peut-être que la vie est simple quand on n'a quasiment rien : les questions existentielles et les problèmes sont une invention des occidentaux pour combler le vide que le travail des machines a imposé à leur quotidien.

de retour des champs

Lorsque nous croisions des enfants dans un village, ils nous regardaient avec de grands yeux. Les plus hardis s'approchaient et criaient : "bonjour ! donne moi stylo !" Phrase universelle, un peu magique pour tous ces enfants, comme si c'était l'unique moyen d'entrer en contact avec ces drôles d'étrangers en shorts, les épaules cramoisies par les coups de soleil et armés d'appareils photos mitrailleurs. Je n'oublierai pas ces regards silencieux des petites filles : il y avait dans leurs yeux un mélange d'étonnement et de curiosité, mais aussi de fierté et d'orgueil. Rarement j'ai senti autant de fossé entre les individus, comme s'il y avait entre nos deux cultures une incompréhension indépassable. Bizarrement, je me suis sentie un peu minable. Le regard assuré de tous ces paysans berbères semblaient me dire que, malgré mes années d'études, mon argent et ma vie confortable, j'étais bien loin de la vérité. Où est la vérité, je ne sais pas. Probablement, eux non plus, ne le savent pas. Mais ils ne se posent pas la question de la chercher. En cela, ils sont peut-être plus proche d'elle que moi.

sur sa mule

Mais que reste-t-il de ce voyage, quelques jours après ? Une humilité retrouvée, une sérénité gagnée ? Même pas. Toutes ces images sont déjà loin dans ma mémoire. J'ai repris ma vie dite civilisée. En vérité, j'ai récupéré mes questionnements, mon insatisfaction congénitale et mes doutes. Vacances berbères, où êtes-vous ?




Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription


Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.


pour m'écrire


Hier Retour à la page d'accueil Demain