Mardi 28 juin 2005

L'été qui commence
8 heures, le radio-réveil au cadran lumineux rouge se déclenche automatiquement : "la canicule est de retour et a fait ses premiers morts", lance la voix du poste. Voilà l'été à peine commencé qui se transforme déjà en nécrologie médiatique. Le thermomètre monte de quelques degrés et déjà tous les journalistes sortent le mot "canicule", assortis des politiques, échaudés par l'été 2003, qui lancent leur offensive "alerte canicule". J'ai un peu cette impression qu'on ne peut plus désormais vivre l'été en pente douce : l'été est devenu la saison de tous les dangers - au sens propre. Une saison qui fait suffoquer et qui brûle. Une saison où le soleil est devenu l'ennemi public n°1.

Je me souviens des débuts d'été de mon passé. Etaient-ils si différents ? L'année scolaire qui n'en finit pas de se terminer. Le dernier jour de CM2, comme une fête, les bras chargés de jeux - Puissance 4 ou Badaboum - et l'impression d'un interdit qui devient caduque : venir à l'école pour s'amuser, n'est-ce pas le comble de la liberté pour un gosse de 10 ans ?

Quelques années plus tard, au collège, l'adolescence devient frondeuse : la prof de français a autorisé la classe à apporter des jeux de cartes et des jus d'orange pour transformer la dernière heure de cours en grand goûter, mais nous, on préfère "sécher" et aller s'acheter des hamburgers au Mac Do' pour les manger dans le parc. Les grilles du collège franchies, on se sent presque rebelles. Dans le grand parc, les filles pouffent de rire en regardant les garçons qui se prennent des râteaux en tentant, en vain, de draguer les jeunes touristes. C'est l'été qui commence, et notre vie aussi.

Quelques années plus tard encore, l'été est devenu plus studieux, mais tout autant porteur de liberté et d'espoir. Les concours sont terminés. Les plus chanceux ont passé l'oral et attendent les résultats. Les plus dilettantes pensent déjà à leur place qui les attend, à l'université. On se croit invincibles. L'espace d'un après-midi, on a pris le RER et quitté notre banlieue pour monter à Paris. On lit Rimbaud dans les jardins du Luxembourg. En mangeant des glaces. On a acheté les livres au programme de l'année prochaine, chez Gibert. Sur les chaises en fer vert du Luxembourg traînent les grands sacs bleus de l'ami Joseph. On se sent forts. Est-ce parce que les mots des grands écrivains nous ont insufflé cette inspiration créatrice que rien ne semble pouvoir contenir ?

Quelques années plus tard, encore un bond dans le temps. Me voilà prof. J'erre dans le lycée déserté de ses élèves. Dans ma salle, il n'y a à mon cours que quatre ou cinq élèves studieux - trop stressés par le bac, ou bien trop tenus par des parents autoritaires. La salle de classe paraît soudain immense. L'écho de ma voix rebondit sur les murs. La dernière sonnerie retentit. Déjà mes jeunes poulpes veulent partir. Je leur dis : "Attendez, je ne vous ai pas dit le plus important : bonne chance pour le bac... mais surtout bonne chance pour la vie !" Les plus polis disent "merci Madame !" et s'attardent un moment pour discuter devant mon bureau. Le dernier jour, les inimitiés sont oubliées. Je suis presque triste de quitter les sales mômes, comme si j'avais oublié qu'ils m'en avaient fait baver par moment. Puis je referme la porte. La clé dans la serrure, je me dis : "et maintenant, qu'est-ce qui m'attend ?" L'espoir, peut-être, est un peu moins grand qu'avant, mais l'attente de l'avenir est toujours là. Au fond, c'est ça : pour moi, l'été, ce n'est pas la canicule, c'est d'abord un temps merveilleusement ouvert qui se présente à moi.

Maintenant, l'été est revenu. Un nouveau cycle, une année de plus, un anniversaire peut-être un peu plus important que les autres. Il n'y a plus tous ces rites scolaires de l'enfance - la fin de l'année comme une séparation et une longue transition vers l'espoir. Pourtant, cela y ressemble quand même. Dans quelques jours, mon CDD prend fin et les collègues ont prévu de fêter mon départ et "ma nouvelle carrière qui commence". Et puis, il y a ce grand moment important dans ma vie - dans notre vie de couple : nous avons trouvé l'appartement dont nous rêvions et, si une banque veut bien nous prêter l'argent, dans trois mois il sera à nous. Le début de mon été est une page blanche à écrire.

Comme avant, j'ai un peu les mêmes peurs. Vais-je dans la bonne direction ? Ai-je fait les bons choix ? Serai-je à la hauteur des nouvelles épreuves à affronter ? Peut-être qu'au fond entrer en 6e et entrer dans la trentaine, c'est la même chose, même si l'échelle des âges est différente. Désirs et appréhensions de même intensité : seuls les enjeux changent. Dans les deux cas, c'est toujours ma vie qui est en construction.

reflets de ma vie



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