J'ai le nez dans mon agenda et je tourne les pages en comptant les semaines. Plus que deux semaines et demi à attendre avant la signature de l'appartement. Encore deux semaines et demi.Je n'ai plus peur maintenant. Je suis juste impatiente. En fait, j'ai eu peur jusqu'au jour de la signature de la promesse de vente. Avant ce jour, je n'avais que des doutes. Après cette date, les doutes se sont transformés miraculeusement en certitudes. En fait, ce n'est pas que maintenant je suis sûre. C'est que je ne me pose plus de questions. Ou du moins plus les mêmes. Au début, quand on visitait des appartements et qu'on était partis tous les soirs aux quatre coins de Paris, je revenais à la maison avec l'impression de ne plus rien savoir. J'étais nerveuse, de mauvaise humeur. Je m'énervais pour un rien. En réalité, j'avais peur. Peur de m'engager pour 15 ans, 20 ans, dans un crédit hors de prix. Peur de faire les mauvais choix. Peur de changer d'avis et de me lasser de l'appartement avant les 15 ou 20 ans de paiement du crédit. Je croyais qu'en me demandant de signer un papier me rendant propriétaire on me demandait de me rendre esclave d'un lieu, d'une situation, comme si parce que j'avais dit "oui" une fois on me forçait à répéter "oui" jusqu'à la fin de ma vie. J'avais encore une fois cette vision de l'engagement comme une prison.
Quand je réfléchis à ma vie, je me rends compte que j'ai toujours eu peur de l'engagement - ou plutôt pas de l'engagement en lui-même, mais du papier ou de l'acte officiel rendant tangible et incontestable ce serment. En un sens, cette peur de l'engagement ne correspond pas à mon caractère. Je suis très fidèle et lorsque j'ai décidé quelque chose ou choisi quelqu'un, je m'y consacre toute entière. Mais dès que l'on parle de parer cette fidélité de l'image de la Loi, cela me panique. Comme si en passant du fait au droit, on transformait la liberté en enfermement. J'ai besoin de me donner la possibilité de changer d'avis. Je veux pouvoir me dire que ce que j'ai décidé à un moment donné n'est pas choisi une fois pour toutes et que je peux modifier mes choix en cours de route - ou bien au contraire les renouveler. Ainsi, choisir un métier et me dire "tu feras le même travail jusqu'au jour de ta retraite" me fait peur. Tout comme le mariage au fond.
Mais aujourd'hui, je n'ai plus peur. Ou du moins plus aussi peur. Pourquoi ? Parce que j'ai compris qu'en achetant cet appartement et en y mettant toutes mes économies, on ne me demandait pas de choisir une fois pour toutes où je voulais habiter jusqu'à la fin de mes jours. Demain sera peut-être totalement différent d'aujourd'hui et je ne peux pas savoir à quoi il ressemblera. Ce que je choisis aujourd'hui je le décide pour maintenant et pour l'image que je me fais aujourd'hui de demain. Cette image changera sûrement au cours des années. Le futur est un grand tableau flou où l'on distingue à peine les formes et les couleurs. Il n'existe que dans notre conscience présente - conscience tout aussi floue et mouvante qui ne prend forme qu'au fur et à mesure du passage du temps. J'ai décidé aujourd'hui de vivre dans un grand trois-pièces en proche banlieue parisienne. Mais ne pourrais-je pas, demain, choisir de vivre dans une grande maison à la campagne ? Ou bien d'aller émigrer à l'étranger ? J'ai besoin de garder ouvertes ces possibilités et de croire que c'est réalisable si je le veux. Si je ne crois plus en ces possibilités, j'ai des frissons et j'ai peur d'avancer. Peur de grandir, peur de devenir.
Peut-être que c'est la même chose avec le mariage et que j'en ai peur pour les mêmes raisons. Sauf qu'en me mariant, je ne veux pas changer d'avis dans 15 ou 20 ans. Ce que j'ai décidé une fois, je le veux pour la vie. Mais si je change ? Mais si lui, il change ? Il ne faudrait pas que le mariage soit un état, mais qu'il reste toujours un acte : un acte que l'on renouvellerait tous les ans. Chaque année, on dirait : "oui, aujourd'hui, je veux me marier avec toi" - et on recommencerait ainsi tous les ans. L'engagement ne porterait pas sur une image indéterminée et lointaine du futur, mais sur une projection toujours actualisée en fonction des changements du temps.