Lundi 10 octobre 2005

Je ne blogue pas
Je crois que si je n'avais pas commencé à écrire un journal et à le publier sur Internet avant l'arrivée en masse des blogs sur le réseau, je ne me serais jamais lancée dans cette aventure publique de l'écriture intime. Il y a six ans, lorsque j'ai commencé à écrire sur internet, cela avait quelque chose d'inédit : c'était un geste un peu fou à mi-chemin entre la provocation et l'exhibition et dont on ignorait plus ou moins les conséquences. Je n'ai pas commencé à écrire ainsi parce que d'autres l'avaient fait avant moi (car, même si c'était il y "longtemps", j'étais loin d'être la première), mais parce que j'en avais envie. Et même plus encore : parce que j'en avais besoin. Ecrire sur internet, c'était quelque chose de fou : imaginez, écrire à la planète entière ! être lue à l'autre bout du monde par des inconnus ! L'aventure était excitante car tout était à inventer. Dès mes premières apparitions sur Internet, je me suis cherchée une écriture : que dire ? que cacher ? comment dire la vérité tout en protégeant son intimité ? jusqu'où parler de soi ? Pendant les deux premières années, je n'arrêtais pas de me poser des questions sur ma façon d'écrire, sur le média internet, sur la communication rendue possible grâce à lui. Je me souviens avoir passé du temps à réfléchir sur ma pratique, que ce soit au sein de mon journal lui-même ou avec d'autres diaristes comme moi (qui se souvient aujourd'hui des "Claviers Intimes" ou de "JMag" dont les liens ont aujourd'hui presque disparu de la toile ?). Cette réflexion méta-diaristique était essentielle pour moi car elle donnait sens à ma pratique, lui offrant en quelque sorte une structure qui ne pouvait pas pré-exister à mon mode d'écriture puisque celui-ci était véritablement peu ou prou nouveau. Aujourd'hui, si un petit jeune venu des "blogs" me découvrait, il me qualifierait de "pionnière". Le mot est trop prétentieux pour provoquer autre chose chez moi que le sourire. Je n'étais pas Christophe Colomb. Je voulais simplement m'écrire et écrire le monde en offrant mes mots aux autres et au hasard, plutôt que de les garder dans mes tiroirs. C'est tout. C'est énorme déjà.

Non, vraiment, je ne crois pas qu'aujourd'hui j'ouvrirais un blog, si je n'avais pas déjà écrit de journal sur internet. Je trouverais que le blog a une image souvent trop superficielle. Je serais sortie dégoûtée des visites des blogs du canal Skyblog d'ados au français approximatif ou j'aurais eu la tête qui tourne à force de lire des "bloggueurs" "postant" plus vite que leurs ombres. Et puis surtout, je me serais dit : à quoi bon ? pourquoi ajouter un site de plus sur internet ? Il y en a déjà tellement...

Auparavant, ouvrir un journal sur le net était un geste presque dissident : une attitude plus ou moins anormale, soumise à la suspicion ou à l'admiration, mais toujours étonnante. Aujourd'hui, ouvrir un blog, c'est normal. Bientôt, je pense même que ce sera ne pas ouvrir de blog qui sera jugé "anormal". Car le blog s'est institutionnalisé. Il y a des présentateurs télé qui ouvrent des blogs et même des hommes politiques. Il y a des émissions de télévision régulières sur le sujet. Il y a même des maisons d'édition qui proposent à leurs auteurs de créer leur blog en complément de leur livre (et pour mieux le vendre bien sûr). Aujourd'hui, on ne se cache plus pour bloguer. On blogue en public et on donne son adresse à tout le monde. Bientôt, on mettra même le lien de son site sur sa carte de visite. Le blog abrite photos ou CV. C'est un support de communication pour s'auto-promouvoir. Quand j'ai commencé à écrire mon journal, je me souviens que le débat d'actualité était : écrit-on pour soi ou pour les autres ? Aujourd'hui, la question ne se pose plus. On écrit clairement pour les autres : pour communiquer avec eux, pour se faire remarquer d'eux, et puis surtout pour se faire des amis. Il est vrai qu'en cela le blog est infiniment convivial. C'est un peu le dernier salon où l'on cause. Souvent, il y en a plus à lire dans les commentaires que dans les entrées. Désormais, c'est moins l'écriture qui compte que la communication. On se fait des copains, on se rassemble dans des "communautés" dans lesquelles on se reconnaît : les profs avec les profs, les auteurs BD avec les auteurs BD. On existe par le groupe dont on fait partie. Voire on ouvre son blog pour faire partir du groupe qu'on apprécie. Je blogue, tu blogues, nous bloguons.

Tout cela est très bien. Je n'ai rien à redire. L'important, c'est que les gens y trouvent ce qu'ils recherchent. Mais le débat a changé, il s'est décentré. On se demandait naguère s'il était possible d'écrire un journal intime et de l'offrir à la lecture publique. Un universitaire spécialiste de la question de l'autobiographique en avait même fait le sujet d'un ouvrage. Cinq ans après, ce livre est complètement démodé, et son auteur, Philippe Lejeune, écrit à propos des blogs : "Le « cher cahier » d’autrefois (d’aujourd’hui encore !) auquel on confiait ses secrets était discret, certes, mais aussi muet : il ne répondait pas. Notre « cher écran » répond ! Tous les sites de journaux électroniques, blogs ou autres, donnent la possibilité au lecteur de manifester sa réaction, d’engager le dialogue, etc. Cela tient autant de la correspondance ou de la conversation que du journal, c’est une sorte de « lettre ouverte » à inconnus. Cet aspect « correspondance » éloigne le journal de l’intimité, et de la liberté. Vous êtes fatalement « en représentation » : vous cherchez à plaire, vous vous faites un style, un look, un personnage. Vous vous forcez… un peu plus que d’habitude ! En plus, vous perdez la liberté de vous taire : vous devez être régulier, sinon votre audience chute. " N'a-t-il pas raison ? Ne quitte-t-on pas complètement la sphère de l'intime et du privé lorsque le public - via les "commentaires" et les "communautés" - a pris toute la place ? Peut-on encore dire des secrets sur internet lorsqu'on sait qu'il suffira à un étranger de cliquer en bas de l'entrée sur une petite boite pour donner son avis... même si celui-ci n'a pas été demandé ? J'ai souvent l'impression que dans les blogs on parle plus... mais qu'on dit moins de choses.

Bien sûr, moi aussi j'aimerais adopter les facilités offertes par le blog : pouvoir mettre à jour une entrée en deux clics de souris plutôt que perdre 20 min à tout faire à la main. Bien sûr, ce serait tentant de trouver des messages de lecteurs quelques minutes après avoir écrit une entrée, de leur répondre dans la foulée et de se faire ainsi pleins d'amis. Mais alors, j'écrirais autrement. Ce ne serait plus mon journal inédit. Ce serait un blog - un blog comme les autres. Et ne savez-vous pas que je n'aime pas faire et être comme les autres ? Je ne suis pas contre la modernité, mais je suis surtout pour la liberté. Je ne veux pas être tributaire d'un système, d'un groupe ou d'une technique. Je veux écrire ce que je veux dans mon coin, sans avoir à tenir compte des commentaires étrangers. Et je veux garder dans mon disque dur la totalité de mes archives - c'est-à-dire une grosse partie de ma vie de ces six dernières années.

P.S. : Je sais toutefois que mon site est un peu ringard ! Il fait très "htlm-des-années-90" avec ses liens morts et ses blancs. Dès que j'aurais le temps (et le courage !), je promets de le lui redonner un coup de jeune. Et puis surtout de lui donner un nouveau titre : voilà presque trois ans que mes "regards" ne sont plus "solitaires" et que ce titre ne me correspond plus.


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