Dimanche 2 avril 2006

Dans une bulle
Ecrit le lendemain du mariage, dans le train pour Briançon

Dimanche matin sous la pluie parisienne. Gare de Lyon. Les gros sacs à dos sur les épaules, les chaussures de randonnée aux pieds, nous partons. Là-bas, de l'autre côté de la France, vers les montagnes ensoleillées, vers les sommets enneigés.

J'ai les paupières un peu lourdes, rougies par la fatigue et alourdies par un tenace mal de tête. Le roulis du train devrait m'endormir. Mais impossible de trouver le sommeil. Dès que je ferme les yeux, mille images me reviennent en mémoire. Il me semble que je porte chaque seconde de la journée d'hier au bord de mon coeur. Je ferme les paupières une demie seconde et voilà toutes les émotions rejaillissent d'un coup, soudain amplifiées par ma mémoire. Je revois tous ces visages amis, pour la première fois réunis autour de nous, tous ces mots gentils, toutes ces délicates attentions... comment traduire en mots l'histoire de cette journée qui ne ressemble à rien de ce que j'ai connu jusqu'ici et qui, pourtant, en un sens, me ressemble - nous ressemble ?

Tout a été si vite, tout a été si lent. Tout a été si fort, tout a été si intense. Tout a été si grand, tout a été si beau. J'ai marché dans cette journée comme dans un songe. J'avais quitté mon corps, j'avais quitté ma vie. J'étais devenue autre. J'étais devenue moi-même. Cet autre moi-même que je connais si peu, celui que je sais si fort et si grand et que, pourtant, je n'arrive pas à exprimer. La journée est passée très vite. Je n'ai pas eu le temps de me regarder dans un miroir. Les seuls instants où, sur le minuscule écran d'un appareil photo numérique ou sur le reflet doré des miroirs du restaurant, j'ai aperçu la jeune mariée, je l'ai trouvée très belle, douce et souriante, joyeuse et épanouie. J'avais du mal à croire que c'était moi. Je voyais cette jeune mariée dans les yeux aimés et je la trouvais si sûre d'elle et de son bonheur que j'avais envie de lui ressembler. Mais cette image n'était pas un mirage, ni un rêve. Cette image, c'était moi. Je ressemblais à moi-même... j'étais moi-même.

Je ferme les yeux et je revois tout. Ma sérénité et ma force. Son regard brun et chaud sur moi. Les sourires amis revenus du passé. Mon petit bouquet rond comme un trophée. Son alliance merveilleusement brillante à son doigt. La fierté de mes parents, de ses parents. Les boucles dans mes cheveux comme des serpentins en fête. L'accolade émue de Copine Juju. La présence de Kolok comme une assurance de l'amitié. La voix grave et chaude du cousin chantant le Liban. A l'église, les textes poétiques dits par les amis chers. Et les bulles de savon qui s'envolent vers le ciel inespérément devenu bleu.

Je ferme les yeux et je revois tout. Les larmes qui n'ont pas coulé hier coulent soudain sur mes joues. Ce sont des larmes chaudes et salées que je n'arrive pas à retenir. Je les cache un peu toutefois : ça ne se fait pas de pleurer dans un train.

Je suis sortie de l'église à son bras. Je n'osais pas l'embrasser. Il y avait tant de monde qui nous regardait. Je tenais son bras très fort. Pour y croire. Pour croire que tout ce que je vivais était réalité. Je voyais toute notre famille, tous nos amis en bas des marches, soufflant pour faire des bulles de savon en guise du traditionnel lancer de riz. Je voyais toute la scène et en même temps je ne voyais rien. Rien d'autre que ces bulles à la transparence de l'arc-en-ciel qui s'envolaient très haut, très loin. Bulles de savon légères et brillantes. Je crois que dans l'une d'elles il y avait notre amour. C'était la bulle la plus grande. C'était la bulle la plus belle.

Vous ne verrez pas les têtes



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