Vendredi 18 août 2006

Le quart d'une seconde
Elle est allongée sur le dos, dans le noir. Des larmes coulent le long de ses joues et tombent dans ses oreilles - juste là, dans la petite cavité auditive. Elle se dit que c'est curieux d'avoir ainsi l'intérieur des oreilles mouillé. Elle avale sa salive, essaie d'adopter un souffle régulier. Elle ne veut pas montrer qu'elle pleure. Elle ne veut pas que ça s'entende. Pourtant, il y a au fond de sa gorge de lourds sanglots qu'elle n'arrive pas à chasser. Lui s'est lové tout contre elle. Il ne peut pas ignorer qu'elle pleure - ce n'est pas possible. Et pourtant elle veut faire croire qu'elle ne pleure pas.

Elle repense à tout ça - aux mots, aux cris, aux regards. Elle se dit qu'elle n'aime pas sa vie. Elle se dit qu'elle devrait changer. Mais comment devenir autre que soi ? Et puis serait-elle vraiment plus heureuse si elle apprenait à devenir quelqu'un d'autre ?

Elle n'arrive pas à oublier sa colère - sa colère à lui. L'espace d'un quart de seconde, elle a vu la haine dans ses yeux. De la haine - c'est comme ça en tout cas qu'elle l'a ressenti. C'est cette seule pensée qu'il a pu la haïr ne serait-ce qu'un quart de seconde qui la fait pleurer cette nuit. Elle a si peur qu'il ne l'aime plus. Qu'il n'éprouve plus rien d'autre pour elle que du mépris et de l'agacement. Tout à l'heure, il a crié et lui a reproché un truc qu'elle avait fait il y a plus d'un an. C'est là qu'elle a vu la haine dans son regard. C'était pour elle comme un coup en pleine poitrine. Aussitôt après elle a voulu vomir sa vie pour ne plus ressentir cette douleur.

Elle a les yeux grand ouverts dans le noir de la chambre. Elle ne sent pas vraiment son corps chaud à lui tout contre elle. Elle a peur. Si peur que cette nuit soit un commencement. Si peur que mois après mois, années après années cet éclair de haine dans ses yeux s'amplifie au point de devenir non plus l'espace d'un quart de seconde, mais un état permanent. Elle pense à tous ces couples qu'elle connaît et qui ne s'aiment pas - qui ne s'aiment plus. Elle ne veut pas que ce soit ça, le mariage : une boule de neige sur laquelle viennent se greffer jour après jour toutes les jalousies et les rancoeurs. Car lorsque la boule sera devenue trop grosse, trop lourde à porter, que se passera-t-il ? Faudra-t-il éclater en même temps qu'elle ?

Il sait qu'elle est triste. Il voudrait la consoler. Elle veut. Mais elle ne veut pas. C'est trop facile, après tout : dire des mots méchants, et puis l'instant d'après réclamer des caresses. Il faudrait oublier. Mais c'est dur d'oublier ce qui a fait mal. Et puis, le pire, c'est qu'on croit avoir oublié, on croit que l'autre a oublié, mais soudain, au milieu de cris, ça revient. Peut-être qu'au fond le quart de seconde de haine ne part jamais. Il reste là, bloqué quelque part en lui - en elle.

C'est tout ça qui la fait pleurer cette nuit.




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