Mercredi 20 septembre 2006

Comme un vampire
Voilà quelques jours déjà que je tourne autour de mon journal comme je tourne autour de moi-même : je le regarde de loin, sans oser y toucher - un peu lasse, un peu déçue. C'est un peu comme si ce journal - que pourtant je fréquente depuis plus de sept ans - était un inconnu - un étranger, un intrus. C'est aussi un peu comme si ma vie - que je fréquente pourtant depuis trois dizaines d'années - m'était elle aussi étrangère... comme si elle ne m'appartenait pas tout à fait. On ne peut pas dire que je suis mal dans ma vie en ce moment. Non, je ne suis ni particulièrement triste, ni précisément mélancolique. C'est autre chose. Je me regarde dans une glace et que je n'y vois plus mon reflet. Comme les vampires. J'ai perdu le double de moi-même dans les miroirs que je croise.

Il y a ce nouveau boulot, commencé il y a trois jours seulement. C'est étrange de revenir là où je travaillais il y a un peu plus de six mois. Un brutal retour en arrière. Les gens du bureau me demandent comment s'est passé mon mariage : quand je les avais quittés, j'étais prête à convoler. Pour eux, c'est comme s'il ne s'était rien passé entre temps. Pour moi aussi du coup. Petit à petit, je commence à entrer dans les nouveaux dossiers. Mais j'y vais à reculons. Les projets d'ouvrages dont je vais m'occuper ne m'intéressent pas vraiment. J'essaie de me motiver, de me dire que l'intérêt va finir par venir (l'appétit vient en mangeant, dit-on). Mais le coeur y est-il vraiment ? Il y a toujours cette question qui revient : ai-je pris la bonne décision ? à quel prix faut-il payer un poste fixe ? Au fond, je n'en voulais pas de cet emploi - si alléchant soit-il. Je ne voulais pas du fixe, du sûr - de cette durée indéterminée supposée vous accompagner sur le long cours. J'avais dit non, j'avais choisi la liberté. Je regrette qu'on m'ait forcé la main pour me persuader que c'était plus adulte d'accepter cette proposition inespérée que de continuer à vivre dans le temporaire. Bien sûr, personne ne m'a mis le couteau sous la gorge pour signer. Mais arriverai-je à me sentir bien dans ce poste auquel, finalement, je n'avais pas même postulé au départ ? J'aimais bien le temporaire. C'est difficile, finalement, d'en faire le deuil...

Le soleil filtre à travers les lattes en plastique du store de mon bureau. C'est agréable. Si agréable que mon esprit s'envole - il suit les rayons lumineux et s'évade vers les horizons estivaux. Je repense à ces journées passées avec celui que j'aime. Lui sur son vélo rouge. Moi sur mon vélo violet. Lui devant et moi derrière. Ou bien moi devant et lui derrière moi. Ou bien encore lui et moi à côté l'un de l'autre sur les chemins de terre, de cailloux et de racines. A notre droite parfois, à notre gauche d'autres fois, le Canal. Le Canal du Midi, avec ses platanes bicentenaires et ses pins parfumés, avec ses écluses et ses petites maisons aux volets verts, avec ses promesses maritimes et sa lenteur indolente, avec ses riches Américains aux cheveux grisonnants et aux shorts blancs. Lui, moi, le Canal. J'ai si envie de retourner là-bas. Ensemble, suspendus au temps. Ensemble, au fil de l'eau. Ensemble, sans nul autre que nous.

Sur le canal

Aujourd'hui, je suis de retour ici, dans ma vie. Je me regarde dans le miroir et je ne vois pas mon reflet. Je ne sais pas très bien qui je suis. Je sais d'où je viens. Mais le passé n'a déjà plus que la consistance des rêves. Je ne sais pas tout à fait où je vais. Mais j'ai si peur que ma vie, elle, sache où je vais, et finisse par y aller malgré moi. Je voudrais retenir le temps - revenir près de ce canal, être toute la journée auprès de O. Mais c'est impossible. Je sais qu'il faut continuer à avancer. Même si je ne sais pas bien vers où, vers quoi.

J'espère seulement ne pas tout à fait me perdre. Et finir par retrouver mon reflet dans le miroir.


101-0170_MVI
envoyé par Eva



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