Lundi 14 janvier 2008

 

Coupable en rêve

Il m'a dit : "nous ne pouvons pas rester ensemble, nous ne sommes pas compatibles". Je ne sais plus si c'était ça le mot, "compatible". Je ne crois pas. Mais je n'arrive pas à me souvenir ce qu'était la formulation exacte. Peut-être qu'il a dit plutôt "je dois te quitter". Ou bien, plus crûment, "nous deux, ce n'est pas possible". Je ne sais pas. Je ne me souviens plus. Ce dont je me souviens, c'est l'effet que cette phrase impensable a eu sur moi. Je me suis sentie perdue. Abandonnée. Comme si un bout de ma vie s'arrêtait. J'étais mal, j'avais mal.

Puis, indistinctement, quelque chose s'est passé. Je ne sais pas quoi : peut-être qu'au pied du lit le chat s'est levé et s'est retourné avant de se remettre en boule ; ou bien peut-être que les premières lueurs du jour sont venues doucement s'infiltrer entre les persiennes des volets. Je ne sais pas. Mais tout à coup, je me suis réveillée. Je ne dormais plus, j'avais retrouvé ma conscience en éveil. Il m'a fallu pourtant quelques secondes pour me rendre compte que l'instant d'avant j'avais rêvé. Ces mots prononcés, ce "pas compatibles", n'avaient jamais existé. Ce n'était qu'un rêve – un fantasme cauchemardé de mon imagination onirique. Je me souviens alors de l'intense sentiment de soulagement que j'ai ressenti, cette nuit-là, au creux des draps. Je me suis répétée, incrédule, "Ce n'était qu'un rêve". Dans la nuit, j'ai souri. La tension insupportable qui avait écrasé mon cauchemar s'était soudain évanouie et il me restait enfin une réalité apaisée – presque douce. Le sommeil n'est pas revenu tout de suite. C'était déjà le matin qui s'immisçait dans la chambre. Sous les draps, j'ai tendu les pieds vers lui, pour sentir sa présence à l'autre bout de mon corps. Il était là, bien là. Tout n'avait été qu'un rêve.

Lorsque le matin est vraiment arrivé, lorsqu'il a fallu se lever, le cauchemar de la nuit m'est réapparu. Je me souvenais encore des mots et des images qui avaient été employés. Le "pas compatible" sonnait encore à mes oreilles. Sous la douche, j'ai inondé les sales échos du rêve et tout a disparu dans le trou arrondi de l'évacuation d'eau de la baignoire. C'est là que je me suis rendue compte de l'absurdité de mon rêve. Je m'en suis voulue. Comment avais-je pu imaginer ces phrases horribles, même en rêve ? Comment avais-je pu le faire parler ainsi ? Plus encore, comment, dans mon sommeil, avais-je pu croire à cette terrible annonce ? Toute la journée, j'ai chassé ces phrases de mon esprit. Elles se sont effacées, ont perdu les mots exacts. Mais elles étaient tout de même toujours là.

Le soir, lorsqu'il est revenu, c'est une des premières choses que je lui ai dite : "j'ai fait un cauchemar cette nuit, tu m'as annoncé qu'on n'était pas compatibles et que tu me quittais !". Il a rigolé. Il a dit : "tu fréquentes trop ta copine qui vient de divorcer !" Il a ajouté : "tu me connais mal". Plus tard encore, dans le lit, alors qu'il s'approchait de moi, je lui ai ressorti l'horrible aveu de mon rêve, en faisant mime de le repousser : "tu m'as dit que tu me quittais !" Il s'est insurgé : "ce n'est pas moi, c'est ton rêve !" Sur le ton d'une enquêteuse, j'ai répondu : "tu étais bien là, hier, dans la nuit ? c'était bien toi dans le lit ? qu'as-tu à répondre à cela ?" Il a répété : "j'y suis pour rien !" J'ai fait semblant de faire la tête, de lui en vouloir à mort. Il ne m'a pas cru, bien sûr. Il me connaît. Il sait que je lui avais joué la même scène la fois où, dans un rêve, le substitut onirique de sa personne m'avait trompée avec une autre. Loin d'essayer de me consoler, il a préféré au contraire jouer avec ma fausse colère. Il m'a dit "de toute façon, je ne peux pas te quitter, j'ai signé !". Frondeuse, j'ai répondu : "ah bon, parce que tu ne restes avec moi que parce que tu n'as pas le choix ?" Il a répondu "ben oui", juste pour me faire enrager. Puis on s'est embrassé. Seule conclusion possible à nos propres provocations.

Ce n'était qu'un rêve, c'est vrai. Mais je n'arrive pas tout à fait l'oublier. Pourquoi ai-je cru cela de lui ? Depuis toutes ces années, est-ce que si peu de choses ont changé ? Ai-je toujours aussi peur de ne plus être aimé de lui ? Ai-je toujours la même crainte de ne plus, un jour, l'aimer ?

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