L'autre jour, la sonnette a retenti à la porte de chez moi. Nous nous étions donné rendez-vous à 19 heures. Il était 19 heures tout juste, mais j'ai sursauté lorsque la sonnerie a retenti. "Oui, c'est Caroline, la journaliste", ai-je entendu dans l'écouteur de l'interphone. Quelques minutes plus tard, une jeune femme essoufflée était à la porte d'entrée de mon appartement. "Vous boudez notre antiquité d'ascenseur ?", me suis-je exclamée, avant de reconnaître qu'en effet cet ascenseur de bois et de fer forgé avait souvent l'habitude de se montrer un peu trop capricieux. Nous étions encore dans l'entrée que Mina est arrivée en sautillant. Mina n'a pas une démarche félinement noble et majestueuse, comme le voudrait les codes de son espèce, mais ne sait se déplacer qu'en trottinant, la queue en l'air et les moustaches blanches en éventail, comme un joyeux toutou. Se frottant aux jambes de mon invitée en ronronnant, Mina a joué son plus beau rôle de chatte midinette, déclenchant une foule de compliments admiratifs. "Alors, c'est Mina, c'est ça ? Comme elle est mignonne !" Je n'avais pas besoin de faire les présentations. La star des Regards solitaires était déjà connue de mon invitée avant même qu'elle ne la rencontre.
Quelques jours plus tôt, j'avais découvert dans ma boite à mails un message disant "Je suis journaliste à RFI et j'aimerais vous interviewer concernant le journal que vous tenez sur Internet". Ma réaction immédiate avait été tout de suite de dire non : moi, passer à la radio et, qui plus est, sur des ondes où on m'entendrait jusqu'en Afrique ? Pour que tout le monde sache que je ne sais pas aligner deux mots sans bafouiller ? Ah non alors ! Mais le soir, au dîner, entre la salade et le fromage, j'en ai parlé à O. : "Tu sais, lui ai-je dit, presque timidement, il y a quelqu'un à la radio qui veut m'interviewer... enfin, qui veut interviewer Éva !" O. a souri : "Tu vas y aller, bien sûr !" Il me voyait déjà un casque sur les oreilles, la bouche près d'un gros micro, entre toute une équipe de journalistes. Je lui ai expliqué que cela ne durerait que 1 minute 20 à l'antenne et que je n'avais pas besoin de me rendre à la radio. J'ai ajouté que j'allais probablement refuser. O. n'a pas compris pourquoi. Plus j'argumentais pour lui expliquer que je ne pouvais pas passer à la radio, plus je me sentais ridicule. J'ai compris alors que ce n'était pas passer à la radio qui comptait, mais aller jusqu'au bout de cette expérience inédite et ne pas laisser la timidité et le manque de courage prendre le dessus. Le lendemain, le rendez-vous était pris avec la journaliste.
Caroline, la journaliste, voulait voir l'endroit où d'habitude j'écris. Nous nous sommes installées près de l'ordinateur, dans le bureau. J'ai sorti le tabouret en bois qui a en son assise une ouverture pour servir de poignée. J'ai dit à Caroline : "Je vous mets un coussin, car attention c'est un tabouret piégé : Mina a l'habitude de passer en dessous du siège et de pincer les fesses des gens qui y sont assis !" Ça l'a fait rigoler, bien sûr. La journaliste a sorti son micro et son appareil d'enregistrement et elle a appuyé sur la touche "on" : "On y va ?" Pendant près d'une heure, j'ai parlé au-dessus de ce micro que Caroline tendait vers moi et que je n'osais pas prendre dans la main. J'avais l'impression de dire quelques bêtises, de ne pas trouver ce que je voulais dire, mais je me disais tant pis, ce sera coupé au montage. A vrai dire, assez rapidement, j'ai perdu la conscience précise que mes propos étaient enregistrés et ai découvert que derrière l'idée intimidante d'interview se cachait en fait une simple conversation, presque naturelle, avec une personne sympathique. Par moments, Mina venait voir ce qu'on faisait, apportant un de ces jouets à la porte du bureau ou sautant à pleines pattes sur le fil du micro. Chassant un sourire, j'essayais de faire comme si de rien n'était, tout en me demandant si les ronronnements invétérés d'un chat pouvaient s'entendre à la radio.
Ce midi sur RFI, l'émission a été diffusée. De l'heure d'interview il ne reste qu'à peine une minute, intercalée avec les paroles d'un collègue blogueur dans un entretien avec un professeur de lettres décrivant le "voyage au centre du moi", dans "le pays intérieur", et évoquant l'histoire de l'introspection chez les penseurs européens du XVIIIe et XIXe siècles. Les quelques mots qu'on m'entend dire n'ont pas trop d'intérêt et le passage que je lis, détaché de son contexte, donne une impression de pathos larmoyant. Mais heureusement, on ne m'entend pas trop écorcher le mot "exutoire" (que j'ai toujours eu tendance à mélanger avec "exécutoire", pauvre de moi !). Et puis ma voix ne ressemble pas du tout à la voix que j'écoute en moi quand je m'entends parler. Cela me rassure presque : j'ai l'impression que c'est une autre que moi qui dit s'appeler Éva et qui parle au micro.
Voilà, si cela vous intéresse, vous pouvez cliquer ci-dessous pour écouter l'émission "Les visiteurs du jour". Cela dure presque 20 minutes, mais on ne m'entend que quelques secondes. En revanche, même en poussant le son au maximum, on n'entend pas le petit chat qui gratouille le micro de la journaliste. Dommage, car au fond, est-ce que cela n'a pas été elle la star des ondes ?
Ici, le lien vers l'émission
et là le fichier MP3
(On ne parle des blogs qu'à partir de la 13e minute)
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