Vendredi 14 janvier 2011

Nouvelle vie

Voilà, nous y sommes : le début de mon congé maternité. Dans six semaines, la Sardine sera là et moi je serai devenue maman. L'autre soir, lorsque ma collègue G. est venue me dire au-revoir, j'ai senti les larmes monter. Je n'ai pas pleuré. Surtout pas. Toujours cette hantise de se montrer faible, comme si c'était une honte de montrer ses émotions. J'ai aligné les post-its sur le bureau, fermé mon cahier de notes et rédigé des mails intitulés "au-revoir". J'ai dit à ma remplaçante : demain, tu pourras prendre ma place devant l'ordinateur... tu te souviens du mot de passe ? c'est "sardine". Puis j'ai frappé à la porte du bureau du directeur. Il m'a raconté ses histoires de papa et m'a dit "Profitez de ces moments". Je n'ai pas pleuré. Toujours pas. A 19 h, j'étais encore dans les locaux de l'entreprise. Une collègue, le manteau sur le dos, s'est étonnée : "toujours pas partie ?" J'ai répondu que je n'allais pas tarder. En mettant mon manteau et en passant devant les bureaux déjà vides, j'ai compris qu'une page se tournait et que je n'étais pas prête de si tôt à quitter le travail ainsi à des heures si tardives.

Ces dernières semaines n'ont pas été si faciles. J'ai voulu "assurer", coûte que coûte. Être à la hauteur, alors qu'on ne m'en demandait pas tant. J'ai passé beaucoup de temps à former ma remplaçante, à lui expliquer tout dans les moindres détails à lui dire "tu fais ça, ça et puis ça". Elle notait tout dans son cahier et moi je la regardais, rassurée et méfiante à la fois devant cette jeune femme si désireuse de faire bien, si ambitieuse, si polie et consciencieuse... si exactement comme moi. Comment faire pour partir, mettre de côté une partie de sa vie professionnelle, sans se demander ce qu'il adviendra quand on reviendra ? Ma remplaçante aura-t-elle pris ma place ? Sera-t-elle meilleure que moi ? Aura-t-elle la promotion que je n'aurai jamais ? M'aura-t-on oubliée ? On me dit : Ne t'inquiète pas, on passe toutes par là. Mais quand même, quand ça arrive à soi, c'est pas si facile que cela.

Mais voilà, nous y sommes. Je n'ai plus à retourner au boulot. Ce soir, les larmes montent et je ne les retiens plus, puisqu'il n'y a personne pour les regarder couler. Mais ce ne sont pas des larmes de tristesse. Ce sont des larmes d'adieu peut-être, mais aussi des larmes de retrouvailles. Je sais que désormais je vais pouvoir me retrouver moi-même. Me reposer, me remettre à écrire, oublier cette ambition professionnelle qui m'a tenue ces derniers mois. Peut-être apprendre à exprimer une autre partie de moi – une part de moi que je ne connais pas. Comme un coup du sort, le début de mon congé maternité coïncide avec l'éloignement d'O., parti en déplacement professionnel à l'étranger, et avec un problème de connexion avec mon fournisseur d'accès qui me coupe du téléphone et d'Internet. Moi qui redoutais l'isolement et la solitude, je suis servie. Me voilà bien obligée d'apprendre cette nouvelle vie. Nouvelle vie où les seules personnes avec qui je parle sont le médecin et la caissière du supermarché. Mais nouvelle vie aussi qui me donne des droits que j'avais oubliés : se balader dans Paris pour faire les magasins en plein après-midi, prendre des bains chauds jusqu'à midi, paresser dans le lit avec le chat à côté de soi. Ce n'est pas si mal, finalement. J'ai l'impression que ce congé maternité est là pour m'apprendre à être seule pour mieux m'aider ensuite à être deux.

Regards extérieurs, c'est ici !

Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription
 
Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.
Il y a sept ans.
Il y a huit ans.
Il y a neuf ans.
Il y a dix ans.
Il y a onze ans.