Mercredi 16 mars 2011

Raz de marée

Le quotidien s'est installé dans la chambre du paquebot. La pesée de 6 heures, les doigts croisés pour concentrer l'espoir d'un chiffre probant ; les infirmières qui défilent à intervalles réguliers pour prendre la température de la Sardine, sa tension ou encore rebrancher sur le scope le capteur lumineux ; la visite du pédiatre en fin de matinée et celle de Catherine, l'infirmière qui prend soin de la Sardine chaque après-midi... Toujours en fond sonore, la bande son des bébés hurleurs, et, cachée, cette fierté vicieuse qui me fait penser que mon bébé n'est jamais celui qui crie le plus (comme si j'y étais pour quelque chose). Lorsque je sors dans le couloir, je croise parfois une maman ou un papa d'une chambre voisine. Tous, ils ont le regard hagard, le pas traînant. Nous esquissons un sourire ou un « bonsoir », sans oser entamer la conversation. J'aimerais leur demander « et vous, pourquoi vous êtes ici ? », mais je n'ose pas – sans doute par peur d'entendre parler d'un mal bien pire que celui dont est atteint la Sardine.

Hier, je suis sortie du paquebot. Une permission d'une heure et demie, une trêve inespérée. Mes parents sont arrivés dans la chambre de la Sardine tandis que les infirmières lui faisaient une prise de sang. La pauvre petite hurlait, effrayée par la maladresse de l'infirmière sans doute débutante qui n'arrivait pas à trouver la veine à piquer. Une fois la Sardine calmée, je l'ai confiée à ma mère, multipliant les conseils. Puis mon père et moi avons filé vers la voiture. Vite, faire l'aller-retour jusqu'à l'appartement, malgré les embouteillages, pour revenir à temps pour le biberon de midi. J'ai regardé le paysage défiler de l'autre côté de la vitre. Dans les jardins des pavillons, il y avait des arbres en fleurs. J'ai pensé au Japon, à l'hanami des Japonais qui commençait. Mon père a mis la radio et a branché les infos. J'ai de nouveau pensé au Japon et aux fleurs de cerisier qui allaient s'épanouir sur les décombres d'un pays dévasté par le tsunami. Le monde continue de tourner à l'extérieur, que l'on soit ou non lancé dans sa course.

J'attends l'infirmière blonde, celle qui a piqué la Sardine hier, et qui doit revenir faire un prélèvement – pomper le sang de ma fille. J'en ai assez de tous ces gens qui viennent l'explorer de tous les côtés et j'appréhende l'examen de demain durant lequel on mettra un tube dans son œsophage. Durant la prise de sang d'hier qui s'éternisait, j'ai cru que j'allais défaillir. La Sardine pleurait et je ne pouvais rien faire, rien pour atténuer sa douleur et sa peur. Je me suis soudain sentie petite, plus petite que la minuscule boule de nerfs qui hurlait sur la table de soins. Que puis-je faire devant le raz-de-marée infirmier ? Rien, sinon m'accrocher au paquebot avec ma petite barque pour aider mon petit poisson à mieux nager.

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