Mardi 2 octobre 2012

Deux fois plus forte

C'est arrivé comme ça, pendant que j'étais en réunion. Une sensation vaguement nauséeuse, l'impression que l'estomac tourne à vide. Je n'avais pas ressenti ça, comme ça, depuis plus de deux ans. Alors j'ai ouvert mon agenda et je me suis mise à compter sur mes doigts. Je me suis dit, Oui, pourquoi pas ? L'idée s'est fixée non pas dans un coin de mon ventre, mais dans un coin de ma tête. Je me suis mise à compter de nouveau sur mes doigts. Ca donnerait fin juin un petit Gémeaux, ou un Cancer, comme moi. J'ai pensé ça. Pourtant, je n'en ai rien à faire de toutes ces histoires d'astrologie.

Quelques jours sont passés. J'ai ressorti mon calendrier et je me suis dit qu'à partir du 10, je pourrais raisonnablement faire un test. Je me suis vue aller à la pharmacie et demander la petite boite rectangulaire, puis la glisser dans mon sac avec la boite de lait de la Sardine. Je me suis imaginée comment je pourrais l'annoncer à O. Je me répétais, Comment c'est la deuxième fois ? Je pensais à tout ça, pourtant les vagues sensations nauséeuses avaient disparu. Objectivement, il n'y avait plus aucun symptômes. Pourtant, je continuais de caresser doucement mon idée fixe. Une jolie idée, bien ronde, bien chaude. Mon secret, rien qu'à moi. Et en même temps, je me répétais, Je ne suis pas prête encore pour un autre enfant, c'est trop tôt, pas maintenant. Je me disais ça, mais je continuais d'ouvrir mon agenda et de tourner les pages pour calculer l'hypothétique date d'un début de congé maternité.

Et puis voilà, ce matin, au fond de ma culotte, la preuve rougeâtre que mon joli secret n'avait pris naissance que dans mon imagination. Il n'y aura pas de petit Gémeaux dans neuf mois. Je me suis regardée dans le miroir. J'ai longuement contemplé ce visage que je n'aime plus beaucoup depuis quelques temps. J'ai souri je crois. Un sourire timide, hésitant entre le soulagement et l'amertume. Je me regardais et j'essayais de sonder mon regard, comme si c'était celui d'une étrangère. J'ai demandé à mon reflet, Qu'est-ce que tu veux vraiment au fond ? Mais je n'ai pas eu de réponse. La journée s'est écoulée. Je me sentais libre et légère. Et pourtant, il me semblait tourner au fond de ma poche ma petite idée fixe qui, tout à coup, était devenue toute flétrie. Une idée froissée. Comme un brouillon à peine écrit qu'on aurait jeté à la poubelle.

Je ne regrette pas l'enfant qui ne viendra pas dans neuf mois. Je crois que je regrette seulement de ne pas être une femme enceinte. Pendant quelques jours, les souvenirs d'il y a deux ans sont revenus. Je me suis souvenue combien alors j'avais l'impression d'être importante, combien je me sentais grande, combien je me croyais forte. Chacun de mes gestes, chacune de mes douleurs paraissaient avoir un sens. Mes rêves, mes espoirs, mes projets étaient démultipliés. Plus les mois passaient, plus je me sentais belle. Ce matin, en découvrant le fond de ma culotte, je n'ai pas regretté l'enfant imaginaire. J'ai juste regretté ne pas être deux ne pas être deux fois plus forte, deux fois plus moi.

 

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