Un taxi dans la nuit
Le taxi roule à vive allure dans la nuit. Jamais je n'ai vu l'autostrade qui longe la côte en direction de Beyrouth aussi peu chargée. La nuit, tout semble si différent. L'oeil est accroché par les lumières des stations-essence et les affiches publicitaires. On ne voit pas les immeubles dans le noir, ni la mer, ni les montagnes, ni même les bords de route un peu défoncés. On se croirait partout ailleurs. La nuit rend l'espace presque anonyme.
Lorsque nous nous sommes levés, il n'était pas même 4h30. J'ai enchaîné les gestes mécaniques (quitter le pyjama, brosser les cheveux, fermer la valise). Au loin, très loin, j'entendais la prière du matin dans le minaret. Et puis je n'entendais rien d'autre que le silence. J'ai fait un peu de bruit pour réveiller la Sardine. Elle m'a souri, sans s'apercevoir que ce n'était pas tout à fait le matin. Je l'ai habillée rapidement. Elle tenait fort son doudou dans les mains lorsqu'elle a dit au-revoir à sa Téta et à son Geddo. J'ai soufflé, Tu les reverras à Paris. J'avais envie de dire « Bé Bériz », comme on dit ici, et j'essayais d'imaginer ce que sera devenu la Sardine dans deux mois, elle qui change si vite en ce moment.
Le matin apparaît petit à petit, tout doucement. On n'aperçoit pas le soleil, il est caché derrière la montagne. Dans ce pays, le soleil s'endort dans la mer (il s'y noie) pour se réveiller au-delà des monts escarpés du Mont-Liban. Le chauffeur de taxi passe son temps au téléphone, zigzaguant entre les voitures. Lorsqu'il ne tient pas le téléphone, il laisse pendre sa main gauche par la fenêtre ouverte. Que se passerait-il si une voiture venait à le frôler ? Je pense à cela dans le petit matin, dans la lourde voiture qui nous amène à l'aéroport de Beyrouth.
La voiture a ralenti pour passer le barrage militaire avant Jbeil. Mais elle a repris sa vive allure. La Sardine, à mes côtés, fixe les lumières qui clignotent dans la nuit. Le pays défile sous le pare-brise et je pense à tout ce que je n'ai pas fait cette année au Liban, à tout ce que j'aurais aimé faire. Ce voyage était si différent des autres. Un voyage statique, dans la chaleur lourde d'août, au rythme effréné des fêtes, sous la musique trop forte des tambours, ou bien dans le silence des après-midi de sieste des enfants. Je regarde le matin qui se lève sur le Liban et je me dis que j'aime ce pays autant que je le déteste. Est-ce donc possible d'aimer et détester à la fois ? Aimer le bleu de la mer, la fraîcheur du labné, les bras ouverts des habitants, la légèreté des jours, les montagnes qui se jettent dans la mer. Détester le chaos incessant, les énervements bruyants, la saleté, l'inconséquence qui mène à ne respecter ni la beauté de la nature, ni la variété des cultures. Je regarde Beyrouth qui, enfin, surgit derrière le pare-brise du taxi, et je me dis que je n'aimerais pas vivre ici et que pourtant j'aimerais y retourner encore et encore.
Regards extérieurs, c'est ici !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. Il y a douze ans.
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