La parade des pyjamas



pour m'écrire

































































hier demain
Samedi 18 novembre 2000

En ce moment, a lieu chez moi, presque tous les jours, un vrai défilé de mode. Seulement, c'est une mode un peu particulière. En effet, sur les podiums on voit des jupes, des maillots de bain, des robes de mariées... mais jamais de pyjamas. Or, je dois avouer que moi, je reste plus des trois quart de mon temps dans un pyjamas. J'ai un peu honte, c'est vrai, mais c'est un fait : si vous passez chez moi à n'importe quel moment de la journée, vous risquez de me surprendre au fond de mon lit avec un bon gros pyjama en coton. Mon métier, et plus encore la situation particulière dont je jouis cette année, me permettent de ne pas avoir à aller au travail tous les jours de la semaine et m'offrent de longues journées détachées de toute préoccupation sociale. J'ai l'impression d'être encore étudiante - pire, de n'avoir jamais cessé de l'être. Je peux rester chez moi, travailler en paix, en suivant mon rythme.

Et j'ai un rythme de vie bien à moi. Je suis presque incapable de travailler, ou de faire quoi que ce soit de constructif, le matin. Les jours où je n'ai pas besoin d'aller au lycée, je me réserve de longues grasses matinées. Je rêvasse au fond de mon lit, refusant de me rendre compte que le soleil dehors s'est levé depuis longtemps - tout comme les gens "normaux" qui ont une vraie vie sociale et qui vaquent à leurs activités salariées. J'ai l'impression de vivre en décalage de la société, de ne pas respirer du même souffle que "tout le monde". Ces matins où tout semble permis car la longue journée qui s'étend se donne à moi me remplissent d'une profonde joie. Je ressens le plaisir presque honteux, mais terriblement grisant, de jouir d'un temps qui a été volé à tous ces gens qui sont enfermés dans des bureaux depuis de longues heures lorsque moi-même je me lève. Ce qui est parfois gênant, c'est d'avoir à trahir ce privilège presque interdit : j'en fais l'expérience lorsqu'un coup de téléphone me tire de ma léthargie à une heure déjà bien avancée de la matinée et que mon interlocutaire, surprenant ma voix toute engourdie encore par les rêves déliés du matin, comprend qu'il m'a tiré du sommeil.

Après avoir traîné tout le matin entre des rêves à terminer et des romans à commencer, je me dis qu'il faut me mettre à travailler, même si c'est déjà l'heure où les fameux gens "normaux" du dehors, sortent pour déjeuner. Je suis restée en pyjama jusqu'alors. En général, je vais en vitesse sous la douche avant de m'asseoir à mon bureau - histoire d'être dans un état d'esprit plus "réaliste" disons, plus "normal", pourrions-nous dire encore (et aussi histoire de gagner encore une demi heure de flemme, avouons le). Mais parfois, voyant que l'heure est déjà bien avancée et que je n'ai encore rien fait, je me dis que ce n'est pas la peine que je m'habille, et je reste dans mon vieux pyjama. Lâche solution de facilité, je le reconnais. Mais à quoi bon s'habiller puisque je sais que je ne verrai personne et que je suis destinée à ne pas mettre le nez dehors ? D'autant plus que, dès que je n'ai pas à taper des mots sur mon ordinateur, je travaille dans mon lit (pour lire, corriger des copies, écrire aussi). J'ai toujours mieux pensé en position horizontale. Je ne sais pas pourquoi. Pourtant les idées devraient mieux communiquer entre elles si elles suivaient une ligne verticale, si on suivait une logique purement dynamique. Pour déculpabiliser, je m'efforce d'oublier Kant que son fidèle valet réveillait chaque matin aux aurores, et je me persuade que je ressemble à ce bon vieux René (Descartes) qui adorait, comme moi, ces longues grasses matinées au lit, prônant qu'il n'y avait pas d'heures plus propices à la réflexion.

Je reste ainsi toute la journée en pyjama - même si, après avoir si doucement commencé, la journée s'avère finalement studieuse. Je suis une pro du pyjama. J'en ai toute une cargaison. Très peu de belles chemises de nuit sexy (je suis très très frileuse la nuit), mais de bons vieux pyjamas larges en coton ou en pilou (rien que ce dernier mot évoque le confort de l'enfance) composés d'un pantalon généralement trop grand et d'une veste-chemise à manches longues. La plupart du temps je les achète par correspondance, pour achever la chaîne de l'intérieur (je ne veux pas même avoir à sortir pour me procurer le vêtement avec lequel je resterai chez moi !). J'en ai un pour toutes les occasions. Il y a mon pyjama-tisane. Je l'ai appelé ainsi parce qu'il est blanc avec des dessins de petites fleurs somnifères (verveine, camomille...). Je le porte les soirs d'insomnies, espérant qu'il me portera sommeil. Il y a aussi mon pyjama-noël que je vais bientôt pouvoir ressortir du placard. Il est rouge et vert et représente des branches de houe. Je le mets toujours au mois de décembre. Plutôt qu'un calendrier de l'Avent ou une crèche, c'est le rituel qui me mène vers le 25 décembre. Il y a mon pyjama-jogging. C'est un vieux survêtement qui a appartenu à mon père il y a plusieurs années. C'est un pyjama actif : il est à mi-chemin entre le vêtement de nuit et l'habit de jour, et c'est celui-ci que je choisis de préférence lorsqu'il s'agit de rester toute la journée dans mon lit. Il y en a d'autres encore. Presque tous avec une histoire. Sauf le dernier, que j'ai reçu il y a deux jours. Il est bleu clair avec des dessins de petits ours blancs. Il me fait penser aux pyjamas que portent Ally MacBeal. Je pourrais donc l'appeler mon pyjama-Ally.

Sur ces belles paroles, je vais aller dormir. Ce qui va être vite fait, puisque je suis déjà en tenue (c'est le côté pratique de l'histoire !). Un jour, je vous parlerai de mes pyjamas d'été. Ils sont complètement différents de ceux d'hiver. Mais ils ont toute une histoire, eux aussi. En attendant... souhaitez moi de beaux rêves !