On appelle ça l'expérience



pour m'écrire























































hier demain
Lundi 10 septembre 2001

Au fond, j'avais peut-être tort l'autre jour : c'est quand même bien de devenir vieux. Pas en soi, bien sûr : cela reste terriblement usant de voir les muscles s'amollir et le rythme vital se ralentir. Mais, pour toute une série de détails presque imperceptibles, voir les années diminuer c'est aussi voir les certitudes augmenter. Dans ce cas là, on nomme la vieillesse expérience. Et l'expérience, c'est bien un savoir que la jeunesse ne pourra jamais apprendre.

Je m'en suis aperçue aujourd'hui lors de ma première grande journée de cours. C'était toute une série de détails, oui. D'abord, il y avait ces "bébés-profs" sortis de la fac, projetés dans un univers pas encore à leur hauteur, qui me vouvoyaient : "vous avez fini avec la polycopieuse ?". Les jeunots ne savent pas encore la loi tacite de la société éducationnelle : ici, on se tutoie obligatoirement, qu'on ait 25 ans ou 55. C'est un signe de ralliement pour dire qu'on est tous dans le même bain et que si on doit se noyer, c'est tous ensemble dans la même tempête. Le tutoiement, c'est la marque distinctive qui fait de l'Education Nationale une petite Franc-Maçonnerie. Celui qui ne tutoie pas, c'est l'Etranger - le membre de l'administration qui habite un monde supérieur, le personnel de ménage qui appartient à un sous-monde, ou encore, comble de l'ostracisme, le misérable élève qui, lui, vit carrément sur une autre planète. Quiconque vouvoie un autre prof n'est pas un véritable prof. Y'a pas à discuter. Et aujourd'hui, je ne suis plus de ceux qui vouvoient...

Ensuite, il y avait les phrases anodines mais, en même temps pleinement jouissives : pouvoir dire, par exemple, à trente paires de yeux ébahis et inquiets, "à chaque fois que je corrige les copies du Bac...", en insistant lourdement sur le à chaque fois" pour bien montrer combien l'habitude s'est gravée dans la répétition, et laisser remonter en soi la satisfaction intérieure de ne pas dire de mensonge cette fois-ci, contrairement aux années précédentes. Et puis, il y aussi tous ces pièges malveillants tendus par les Poulpes les plus insolents que je m'aperçois savoir contourner, presque avec habileté. Pour la première fois peut-être, je parviens désormais à dire "c'est moi qui commande ici !", sans avoir envie de pouffer de rire, parce que je ne crois pas en mon rôle. Soudain, je me dis que ça fait du bien, cette assurance auparavant inconnue.

Et puis il y avait cette jeune stagiaire aux bords des larmes dans la salle des profs. Ils étaient trois collègues à essayer de lui remonter le moral et à la convaincre de chercher en elle la force d'affirmer une autorité qu'elle n'avait pas. J'avais envie de la prendre par la main pour la réconforter, lui dire que tout le monde est passé par là, lui expliquer qu'elle ne pourra que devenir meilleure. Je repensais à moi il y a deux ans. A mes hésitations. A mes doutes. A mes peurs. Je voulais lui montrer qu'il était possible de souffler sur toutes ces incertitudes.

Chaque année je grimpe un petit morceau de montagne. Peut-être arriverai-je un jour au sommet.

aller jusqu'au sommet




Il y a un an.
Il y a deux ans.