Lundi 21 avril 2003

"Et tu vas faire quoi ?"
Toujours la même question qui revient m’agresser malgré le ton badin : Alors, t’es où l’année prochaine ? T’as eu ta mut’ ? Toujours la même réponse qui vient s’embarrasser au bord de mes lèvres : Ben l’année prochaine, je ne serai plus là… Je prends une année sabbatique. Là, les réactions changent selon les interlocuteurs. Mais toujours, c’est la surprise : Ah bon ? Oui, ah bon. L’étonnement vient se décliner sous tous les tons : la suspicion qui vient prendre un ton réprobateur même s’il ne s’avoue pas comme tel (sous entendu : pourquoi tu veux plus être prof ? c’est un si beau métier voyons !), l’admiration qui semble sincère (Félicitations ! Tu fais ce que je n’ose pas faire mais que je crève d’envie de faire !), ou encore le silence qui vient cacher l’indécision (elle sera donc au chômage ?, j’entends dire derrière mon dos à Kolok qui tente d’expliquer ma situation à un copain qui n’a rien compris). Passé le moment de surprise, c’est toujours ensuite la même question qui revient : Et tu vas faire quoi de cette année ?

Certes, la question est légitime. Si j’étais à la place de l’autre, et si l’autre était à ma place, il est certain que je la poserais moi aussi. Mais voilà, je suis à ma place, et la vérité c’est que ma place, en ce moment, elle n’est pas si confortable. A la question fatale, j’invente des réponses toutes faites : aux profs, je dis « je vais préparer l’agrégation ». Réponse nette, précise, qui déclenche des réactions saines : Oui, tu as raison, il vaut mieux le faire maintenant, quand les études ne sont pas trop loin. Aux amis, je me permets d’être plus sincère : « je voudrais aller voir ailleurs et me lancer dans l’édition, dans le monde des livres qui m’attire depuis toujours. » Le projet était en l’air depuis des mois. On n’est pas si surpris de l’entendre. La réponse est plus problématique, car ouvrant des sommes de difficultés liées à l’hypothétique reconversion exigée, mais au moins c’est une réponse. C’est rassurant. Je donne l’impression de savoir ce que je fais, comme d’ailleurs je l’ai toujours su jusqu’à maintenant.

Mais la vérité est bien ailleurs que dans ces questions toutes faites. La vérité, c’est que je ne sais pas ce que je veux faire ! JE NE SAIS PAS ! Ou plutôt, j’ai des tas de projets – des projets d’écriture, de lecture, d’études, d’expériences… Mais des projets qui, au regard de la vie des adultes, ne sont que du vent. Si j’avouais que mon rêve, ce serait de m’isoler dans une vieille maison et d’écrire la journée durant, à l’écart du monde trop éveillé de la société moderne, pour qui me prendrait-on ? Une hippie sur le retour ? Une utopiste trop rêveuse ? Une enfant capricieuse ?

Parfois, je me réveille en pleine nuit et je pense à l’an prochain. Mes yeux restent ouverts dans le noir et je ne peux plus me rendormir. J’ai peur. J’ai peur de l’année prochaine parce qu’elle s’annonce pour moi vide d’échéances et en même temps pleine de projets infinis. Tout m’est donné et c’est à moi de savoir bien utiliser cette source de possibilités. Et si je ne savais pas saisir cette chance ? Et si je n’arrivais pas à choisir mon avenir ? Au fond, ce serait plus simple que d’autres choisissent à ma place ou que la situation laisse les décisions se prendre d’elles-mêmes, comme cela a toujours été le cas jusqu’à maintenant. Je n’aurais plus ce poids du choix entre les mains. Je ne serais plus agressée par ma propre liberté.

Et tu vas faire quoi l’an prochain ? Vous êtes bien gentil avec vos questions. Je vous remercie de vous inquiéter de mon avenir. Mais par pitié, ne le prenez pas mal si je hausse les épaules. Laissez moi me dépatouiller avec ma liberté. J’apprends à l’apprivoiser : la contempler dans les yeux et ne pas biaiser, ne pas, pour une fois, la refuser. Ce bon vieux Jean-Paul (Sartre) disait que nous sommes « condamnés à être libres ». Alors laissez moi oser user de cette liberté et aller jusqu’au bout de mes choix. Je veux pouvoir trouver mes propres évidences et que rien ni personne, pour une fois, ne décide à ma place.

ballon jaune



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