Toujours cette vie dans l'attente. On ne vit plus dans le présent, mais on a les yeux tournés vers le calendrier. Le 15 septembre, c'est la signature. Le 15, c'est après-demain. Déjà. Le 15, on signera tous les deux nos noms sur l'acte du notaire : tous les deux, "célibataires majeurs", on deviendra les "propriétaires" d'un lieu qui, j'espère, nous ressemblera un peu. Un peu, beaucoupOn ne vit aujourd'hui qu'en pensant à après-demain. On en oublie même de se disputer. Ce n'est pas grave si on ne s'est pas mis encore d'accord sur la couleur des murs du salon ou sur l'endroit où on mettra la litière du chat. Discuter - se disputer (c'est pareil), c'est déjà vivre au présent : être ici et maintenant et se regarder face à face. Nous, on ne se regarde pas. On a les yeux rivés vers après-demain. On ne pense qu'à après-demain. On en oublie tout le reste.
On règle les problèmes un à un - le papier pour la banque qui n'est pas encore arrivé, la réservation des places de parking pour le déménagement, la location du camion, la demande du chèque de banque pour le prêt... tout ça. On s'épuise à téléphoner ici, ailleurs. On en oublie de travailler dans la journée. Et de dormir la nuit.
Le soir, on se serre très fort dans les bras l'un de l'autre. Je me dis qu'il est ma force, mon énergie. Je me dis que j'ai besoin de lui pour savoir où je vais - pour savoir aussi à quoi pourra bien ressembler après-demain. Je m'imagine dans ses bras, dans la grande chambre bleue, dans notre futur nouveau lit tout en bois. Peut-être n'aurais-je plus jamais peur là bas. Je m'imagine assise près du bureau dans la grande chambre jaune. Peut-être écrirais-je beaucoup là bas. Pour dire tout ce que je n'ai pas dit ici. Je m'imagine face aux hautes fenêtres du salon avec la vue sur Paris au loin. Peut-être me sentirais-je toujours très forte là bas. Plus forte qu'ici. Je m'imagine. Je nous imagine. Et cela m'aide à attendre qu'après-demain arrive enfin.