Les premières photos du mariage commencent à arriver. Nous n'avions pas de photographe officiel et nous avons compté sur nos amis pour jouer les photographes amateurs. O. a en particulier confié son Reflex à un ami de confiance chargé de prendre des photos en noir et blanc qu'O. développera ensuite lui-même. Par ailleurs, un autre ami s'est armé de son camescope numérique et a réalisé un petit film de notre mariage.
Si on y pense, c'est fou ce que prennent comme place les séances photos dans un mariage. Nous n'avons pas fait tout cela exactement dans les règles, ne confiant pas notre image à un photographe supposé spécialiste des noces. Nous n'avons pas non plus organisé une longue séance de pose dans un parc ou devant un paysage romantique. Mais lorsque je regarde la vidéo du mariage, j'ai l'impression de n'entendre que des crépitements de flash : en fond sonore du "oui" fatidique, on devine un autoritaire "Pousse-toi, je prends une photo !", et en arrière-fond, sur les photographies, on distingue des yeux cachés par de gros objectifs mitrailleurs. Toute cette folle obsession lancée autour de la problématique de la photo ferait presque croire qu'on ne se marie que pour avoir, au final, LA photo. Le bel agrandissement en couleur qui ira prendre la place d'honneur sur le buffet du salon de Belle-Maman. Le joli portrait affiché avec fierté et accompagné des mêmes commentaires : "C'est mon fils ! C'est ma fille !" J'ai l'air de critiquer comme ça, mais au fond, je suis sûre que chez nous, ce sera la même chose. Même si j'ai toujours trouvé cela infiniment prétentieux chez les autres, je suis certaine qu'on ne pourra pas résister à l'envie de nous afficher dans un beau cadre. Au lieu de poser le portrait sur le buffet du salon, peut-être l'accrocherons-nous sur le long mur du couloir, à côté des autres photos en noir et blanc prises par O. lors de voyages.
Pourtant, dans l'immédiat, il semble que le choix de LA photo ne va pas s'avérer évident. Parmi les photos que nous avons reçues, une bonne partie est tout simplement ratée. Ici, on ne voit que des gens de dos. Là, on a un gros plan exagérément gros. Là, encore, on a le personnage principal qui ferme les yeux ou qui, dans l'instant de la photo, fait une malheureuse grimace. Les appareils numériques offrent cet avantage de pouvoir choisir les photos avant de les tirer sur papier, voire de les retoucher en gommant ici ou là un regard rougi par l'éclat d'un flash. Mais ils ont aussi ce défaut de donner libre cours au déferlement aveugle des images. On ne prend plus le temps de faire la mise au point. On ne se donne plus l'occasion de s'appliquer. Au contraire, on appuie fébrilement sur le bouton "on", sans faire l'effort de choisir le cadrage approprié.
Mais il y a autre chose. Ce serait trop facile de tout rejeter sur le dos des apprentis photographes. La vraie douleur, c'est d'avoir à affronter son image. Une image qui n'a rien à voir avec ce que le miroir renvoie chaque matin dans la salle de bain. Une image née du regard d'autrui porté sur soi et, en cela, une image qui, en fin de compte, nous échappe. C'était amusant, hier soir, de revivre les moments du mariage en revoyant tout sur l'écran de la télévision. Et puis, en même temps, quel supplice ! Je me vois et j'ai presque envie de détourner les yeux : "Mais c'est pas vrai, mon nez est aussi long ? Et pourquoi je me tiens aussi mal ? Je suis toute voûtée ! Et mes yeux, ils sont trop gros, trop globuleux !" Même O. qui, généralement, n'est pas sujet à ces remises en cause, s'exclame : "Mais pourquoi je fais cette tête-là ?!!" En général, pourtant, je ne déteste pas être prise en photo. Depuis mon enfance court l'affirmation que je suis "photogénique". Dans mon enfance, c'est toujours moi qu'on posait sous l'objectif, si bien qu'au final je me retrouvais sur les deux tiers des clichés. Et puis, souvent, j'aime bien que O. me prenne en photo. Pour lui, je sais avoir ce regard coquin que personne d'autre ne peut me décrocher. Et pourtant là, sur les photos du mariage, je ne m'aime pas. C'est comme s'il y avait un décalage entre la façon dont j'ai vécu, de l'intérieur, cette journée, et l'image glacée que les appareils ont enregistré. Je regarde certaines photos et voilà que tout devient défaut en moi : mon nez, mes yeux, ma coiffure, mes épaules... J'en viens à regretter ces photos du passé - ces photos où j'aimais ce reflet métamorphosé que l'objectif savait capturer.
Est-ce parce que mon visage vieillit que j'ai ainsi l'impression que mon image me trahit ? Est-ce le temps qui a fait mentir les photographies et ternir les images ? Est-ce vrai qu'en vieillissant l'image de soi devient chaque jour un peu plus difficile à supporter ?