Mardi 18 avril 2006

Le fil d'avril

Entre l'hiver et le printemps, le fil d'avril a été tendu. C'est un fil épais, solide - comme ces gros câbles métalliques qui, dans les via ferrata, servent à relier entre elles les montagnes au-dessus des précipices. Je peux m'accrocher à lui sans risque de trébucher. Et c'est ce que je fais : les deux pieds en équilibre sur le fil, je marche droit devant moi sans regarder le vide en contrebas.

C'est étrange que le fil d'avril soit si solide car, à vrai dire, l'espace qu'il traverse n'est fait que d'incertitudes. Un matin, j'ouvre la fenêtre sur avril, et c'est l'hiver. Il fait un froid piquant qui laisse au bout des doigts le regret d'avoir rangé dans le placard les gros gants en laine, et le ciel est gris, si bas qu'on croirait qu'il va toucher le sol. Puis, le matin suivant, j'ouvre à nouveau les volets et tout d'un coup c'est le printemps. Le ciel est chantant, bleu et lumineux sous les chants des oiseaux ; et on en vient à oublier sur le dossier de la chaise du bureau le grand gilet qu'on a porté tout l'hiver.

Je marche sur le fil d'avril et je m'étonne d'arriver à marcher droit au milieu de toutes ces contradictions. Le ciel ironise, flirtant entre la pluie et le soleil, et l'hiver et le printemps se succèdent allègrement, déviant les lois immuables des saisons. Seule la nature parvient à ne pas faire mentir le calendrier : dans un parterre, de joyeuses primevères sont décidées à arriver premières dans leur course au printemps, et là-bas, derrière un grand mur de béton, un magnifique arbre rose vient promettre la riche fécondité d'une future récolte fruitière. Les branches des arbres sont encore mortes, sèches et dénudées et pourtant, lorsqu'on les regarde de près, on voit ici ou là un petit bourgeon vert qui, timidement, semble avoir choisi d'explorer le monde. Il est tard, on rentre du travail, triste et fatigué, et soudain, en sortant du métro, on tombe nez à nez avec le printemps : il est plus de 20 heures et il ne fait pas nuit ! Pour peu on croirait à un tour de magie : on va vers les beaux jours, on en a la preuve, et pourtant on a encore du mal à y croire.

Je marche sur le fil d'avril sans perdre l'équilibre. Et pourtant, je ne sais pas où je vais. Il y a sous mon pas quelques déceptions indicibles, quelques agacements incontrôlables et une légère lassitude insondable. Mais malgré tout cela, j'avance sans fléchir, je marche sans faiblir. Parfois, je prends même le temps de m'asseoir sur le fil. Le fil est si raide que cela fait un peu mal aux fesses. Mais je me tiens bien de chaque côté et je sais que je ne risque pas de tomber. Je peux même rester plusieurs minutes sur mon fil et remuer les jambes dans le vide. J'ai alors le temps de regarder les narcisses qui, dans tout leur jaune, ressemblent à des soleils. J'ai alors l'occasion de sentir les tulipes qui, encore enfermées dans leur enveloppe raide et parfaite, n'ont pas encore de parfum J'ai alors le désir de laisser mon oeil se perdre dans ces arbustes d'un jaune pétant que mon ignorance botanique fait perdre dans le silence.

Ce n'est pas vrai qu'avril ne tient qu'à un fil. En vérité, au bout d'avril, le printemps est là, si solide, qu'il ne risque pas de faire rompre le fil.

Sur le fil d'avril, des fleurs de toutes les couleurs



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