Ennui mortel au boulot. Pourtant les gens commencent à être revenus de vacances. Ce n'est plus le grand désert de la mi-août dans les bureaux. Mais je n'ai quasiment rien à faire et je passe mes journées à attendre. A dix heures, j'attends la pose de 11 heures. A 11h30, j'attends la pose déjeuner. A 15 h, j'attends la pose de 16 h. Et à 16h15, j'attends qu'il soit une heure décente pour m'éclipser discrètement et enfin rentrer chez moi pour me reposer d'avoir passé la journée à ne rien faire.Il y a quinze jours, lorsque j'ai annoncé à ma responsable que je partais à la fin de mon CDD car j'avais trouvé un CDI ailleurs, elle n'était pas contente. Vraiment pas contente. Elle m'a même reproché de ne pas le lui avoir dit plus tôt en lui téléphonant pendant ses vacances pour lui annoncer la nouvelle. Mais à la guerre comme à la guerre ! Voilà plus de deux mois que ma boite actuelle me promettait un prolongement de CDD dont je n'ai jamais vu la moindre trace. S'ils voulaient vraiment me garder, il leur suffisait de tenir leur promesse. Si j'ai hésité à accepter l'offre de CDI qu'on me proposait, c'était par peur de ne plus me sentir libre. Mais lorsque je vois l'attitude des gens de la boîte que je quitte aujourd'hui, je me dis que finalement j'ai peut-être pris la bonne décision.
Alors voilà, maintenant, j'attends. J'attends de m'en aller. Déjà, je suis presque partie. J'arrive de plus en plus tard, je pars de plus en plus tôt, et surtout je culpabilise de moins en moins de mon manque de zèle étant donné que de toute façon voilà des jours que je n'ai plus vraiment de travail à faire. Il y a quelques semaines, suite à l'arrivée d'une nouvelle personne dans le service (une CDI), on m'a collé, pauvre CDD que je suis, dans le bureau de Madame Ronchon. Je suis prise entre deux armoires, le dos face à l'entrée, si bien que personne ne me voit et que je ne vois personne. Madame Ronchon (qui ne voulait pas que je vienne dans son bureau, mais qui, comme moi, n'a pas eu le choix), s'assoit généralement à 3 mètres de mon écran pour relire les épreuves de ses bouquins. C'est pas terrible pour la tranquillité de l'âme de sentir la présence d'une Madame Ronchon juste derrière soi. Mais heureusement, Madame Ronchon est en vacances depuis un bon petit moment. Je peux donc continuer à attendre le passage du temps en toute quiétude dans mon placard.
Je ne peux pas dire que ces six mois de CDD se soient mal passés. J'ai travaillé sur un livre qui me plaît, avec des auteurs plutôt sympas et j'ai eu des responsabilités qui m'ont appris quelques nouveaux aspects du métier. Pourtant, à vrai dire, je ne me sens pas très à ma place dans ce travail. Comme j'ai du temps pour méditer en ce moment, je me suis pas mal interrogée pour savoir si ce malaise venait de moi : suis-je définitivement allergique au monde de l'entreprise ? C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas seulement ça. L'ambiance de travail y est aussi pour beaucoup. Ici, dans cette boite, personne ne se parle. Chacun est enfermé dans son bureau et ne dit bonjour à son collègue que parce qu'il tombe nez à nez sur lui à la photocopieuse. Il n'y a presque pas de réunion et quant aux pots, lorsqu'il y en a, la plupart des gens ne restent que cinq minutes près des verres en plastique et des chips, juste histoire de dire qu'ils étaient là parce-qu'il-le-fallait-bien-quoi. Quant à la chef du service, elle n'a le temps de rien. Pas même de venir annoncer les gros changements et les grandes décisions prises en haut. Alors du coup, les changements qui nous concernent directement (comme les réaménagements de bureau), on les apprend par hasard, dans l'embrasure d'une porte, au détour d'un couloir.
Si c'est ça, l'entreprise, alors non, je n'ai pas très envie d'y travailler.
Alors, en attendant, je me traîne. Je ne me sens pas très bien avec moi-même. Je suis à l'image du temps qu'il fait dehors : terne et morose. J'ai le vague à l'âme devant cet été qui n'a duré qu'un mois et je suis lasse de vivre dans cet hiver sans fin. J'attends l'été. J'attends l'enthousiasme. J'attends la chaleur et le soleil. J'attends d'en finir avec ici, pour enfin cesser de faire semblant de travailler. J'attends d'avoir de nouveau envie.
Il y a un an. Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. |