Mardi 12 juin 2007

 

L'écriture est une science exacte

L'écriture est une science exacte. Une science pure, un savoir universel où chaque mot doit être pesé avec une précision implacable. Il n'y a pas de synonymes dans la langue française, pas de mot qui serait jumeau d'un autre qui renverrait au même univers sémantique. Il faut trouver le mot juste, le mot qui traduit l'exact sentiment qui dort au fond du coeur ou l'absolue pensée qui repose dans le silence. Lorsque j'écris, je recherche la vérité. La vérité au sens médiéval, c'est-à-dire l'adéquation de la chose et de l'esprit. Je peux écrire des histoires, inventer des personnages, faire vivre la fiction. Mais, même là, même en plein mensonge, je recherche la vérité : plonger en moi et dans ce que je sais, dans ce que je vois de la vie, et en ressortir avec le mot qui, seul, convient. Ce mot-là, et pas un autre. Envelopper l'être de la parole pour parvenir à retrouver, dans les mots, dans les phrases, son exacte réplique. Donner aux choses l'existence sensuelle des mots pour, à travers l'écriture, réussir à les saisir dans leur essence.

J'écris facilement. Il est rare que je ressente des blocages dans mon écriture. Lorsque j'ouvre un fichier Word et prends la décision d'y consigner quoi que ce soit - mes réflexions, ma vie, ou simplement le compte rendu de la dernière réunion - je n'ai pas de difficulté à laisser les mots se dérouler sous mes doigts. J'apprivoise facilement les mots. J'ai le sentiment de pouvoir m'en saisir aisément et de réussir à leur faire dire absolument tout. Je sais que j'ai des manques, des lacunes, et que je commets bien des maladresses dans le maniement des mots, mais je sais aussi qu'en exerçant mon écriture je pourrai réussir à la dompter et à la faire obéir à mes désirs. Sentiment de toute puissance.

L'autre jour, un déjeuner avait été organisé avec des collègues et un illustrateur avec qui j'ai travaillé pendant plusieurs mois sur un ouvrage dont je me suis occupée. Nous étions à peine installés à la table du restaurant que le dessinateur me demande, à brûle-pourpoint :
Vous dessinez ?
En riant, je réponds par la négative : "Ah ça non, je ne dessine pas ! Je ne suis vraiment pas douée, je n'arrive à rien avec un crayon dans les mains !" Incrédule, il m'explique qu'il suffit d'essayer, de se lancer, que ce n'est pas si difficile de dessiner. Il me parle de sa femme qui, elle aussi, prétend n'avoir aucun talent artistique et n'ose jamais esquisser un seul coup de crayon sur une feuille blanche, alors que grâce à son mari elle a à sa disposition tout le matériel imaginable. La confiance de cet illustrateur m'amuse. Je lui dis que pour moi ce n'est pas si facile et que je préfère ne rien tenter plutôt que me rendre compte avec dépit que je ne parviens pas à faire correspondre l'image que j'ai dans ma tête ou bien la chose qui est en face de moi avec la représentation que j'en fais maladroitement sur le papier. Je sens bien que mon interlocuteur ne comprend pas bien ce que je lui explique. Il m'approuve par politesse, puis évoque avec excitation et entrain les heures où il est seul devant sa toile, la gamme des couleurs dans une main et le pinceau dans l'autre. Ses yeux brillent lorsqu'il parle. Il dit que ces moments de création sont magiques. Il dit que le mouvement de ses mains sur la toile le dépasse. Il dit qu'il peut rester des heures dans son atelier, sans voir le temps passer. Il dit qu'il recherche la vérité, qu'il veut traduire la réalité de ce qu'il voit avec l'extrême exactitude. Il dit qu'il ne lâche pas sa toile tant qu'il n'a pas trouvé la couleur qui convient pour son paysage ou le mouvement qui fait vivre précisément son dessin. Le dessinateur et moi, nous ne parlons pas le même langage. Mais je voudrais lui dire que je comprends tout ce qu'il me raconte, que je sais exactement de quoi il s'agit lorsqu'il parle de cette force qui l'anime lorsqu'il tient un pinceau à la main. La seule différence, c'est que lui il parvient à dominer les lignes et les couleurs, alors que moi c'est avec les mots que je lutte. Chacun son moyen d'expression.

J'écris facilement, car les mots ne m'intimident pas, contrairement à la toile ou au pinceau qui me paralyseraient complètement si j'essayais de les faire vivre au bout de mes doigts. Pourtant, les mots ne coulent pas de source. A chaque phrase, je m'arrête, prends quelques secondes quelques minutes parfois pour réfléchir. Mon écriture n'est pas continue et ne cesse de s'arrêter et de se reprendre. J'ai en moi ce que je veux dire je vois le personnage que je veux décrire ou je ressens à nouveau l'émotion que je veux transmettre et tout mon effort est d'arriver à me ressaisir de cette image ou de cette sensation pour l'extérioriser dans la parole avec l'exactitude la plus absolue. Il me faut soupeser chaque mot. Est-ce cela que je veux dire ? Non, le mot me résiste, et avec elle la chose. Je cherche, je plonge à nouveau en moi et je fais défiler dans mon esprit mille expressions, mille synonymes, avant de trouver le mot précis qui saura décrire ce qui n'a pas encore d'existence autre que spirituelle. Parfois, le mot ne vient pas. Je dois fouiller dans mon esprit, remuer tout de fond en comble, avant de parvenir à me saisir du mot que je cherchais sans trouver. Dans ces cas là, je reste plusieurs minutes devant mon écran, les doigts posés sur le clavier, sans bouger. Je cherche le mot. Je ne le trouve qu'en retournant en moi-même, en face à face avec l'émotion ou la pensée que je souhaite retranscrire. En cela écrire est une entreprise risquée : à chaque moment, il faut être prêt à plonger au fond de soi... et à y voir, peut-être, ce qu'on ne veut pas regarder. Toutefois, j'aime ce combat avec le mot, quand bien même j'y laisse au final un petit peu de moi-même.

Finalement, celui qui écrit n'est-il pas à la fois un grand mathématicien et un grand aventurier ?

 Regards extérieurs, c'est ici !

 

 
Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription
 
Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.
Il y a sept ans.
Il y a huit ans.