Regards extérieurs, c'est ici !Demain soir, cela fera une semaine que je suis revenue de Masteville, où j'ai passé les épreuves de cet examen que j'ai eu la drôle d'idée de préparer. Une semaine, déjà, et je n'ai encore rien raconté. A vrai dire, lorsque je suis revenue de Masterville, j'avais l'impression d'avoir passé deux jours si intenses qu'il me fallait nécessairement laisser un peu de temps passer avant de pouvoir reprendre ma respiration. Puis les jours se sont écoulés et les événements du quotidien sont venus recouvrir le souvenir fébrile avec lequel j'étais revenue. A mon retour, j'étais gonflée à bloc, pleine de projets, emplie d'un enthousiasme nourri de toutes ces belles rencontres que j'ai faites là-bas. Puis, peu à peu, l'excitation s'est tarie et je me suis sentie soudain toute vide, passablement déprimée – je veux dire pas vraiment déprimée, mais un petit peu quand même. Je déteste ces hauts et ces bas. A voir mon humeur monter et descendre, j'ai l'impression que je vais faire une chute de hauteur et que je vais me casser la figure en chemin.
A Masterville, j'ai fait de belles rencontres. Sur tous les plans. Passer de l'autre côté de l'écran, serrer des mains plutôt que de tapoter sur des claviers, croiser des regards et y lire ce que jamais les mots écrits ne pourront dire. J'ai rencontré des personnes avec qui auparavant je n'avais eu de contact que virtuel. Je me suis sentie libérée : enfin, pouvoir parler, pouvoir faire exister ce qui n'était que des lignes sur un écran, cela m'a fait du bien. J'ai eu l'impression d'être entière et non plus divisée, tiraillée entre des côtés antagonistes de moi-même.
Mais à Masterville, je me suis sentie vieille, très vieille. Pour la première fois, peut-être, j'ai eu l'impression d'avoir pris un douloureux coup de vieux. J'étais devant ma feuille blanche, assise à cette table d'école dans cette grande salle, comme autrefois je l'ai fait des dizaines et des dizaines de fois. Passer des examens, personne n'aime ça, mais j'ai toujours pensé que c'était une chose que je savais faire. Mais là, cette fois-ci, rien ne se passait comme autrefois. Les idées étaient là, j'avais des tas de choses à dire, mais tout se mêlait dans ma tête. Ça ne tournait pas assez vite, ça ne prenait pas les bons virages, ça n'arrivait plus à rebondir. Mes idées ne courraient pas assez vite après elles-mêmes. Comme si ma tête était usée. Comme si soudain mes pensées prenaient des siècles pour s'échafauder alors qu'auparavant elles étaient capables de s'accrocher avec agilité les unes aux autres. Au bout des quatre heures de composition, j'étais loin d'avoir terminé ma dissertation. J'ai esquissé vite fait une conclusion, peinant à dissimuler la non-existence d'une troisième partie que j'avais pourtant annoncé en introduction. En sortant de la salle d'examen, je tremblais un petit peu, je me sentais toute faible. J'ai dit aux autres disciples d'examen, Merde, qu'est-ce que je suis vieille. Cela m'a à peine rassurée de les entendre dire la même chose à leur propos.
Je suis heureuse de ces deux jours passés à Masterville et des gens que j'y ai rencontrés. Certaines de ces rencontres m'ont redonné foi en moi-même, m'amenant à penser que ce que je faisais était digne d'intérêt – plus encore, que moi-même étais intéressante. Mais je regrette de voir qu'à peine de retour chez moi ma belle confiance en moi est retombée. Piouf, comme ça, à peine le temps d'un clignement de paupière. J'espère que cela va revenir, que c'est juste un effet du temps gris qui couvre le ciel depuis ces derniers jours. C'est dur de croire en soi. Le pire, c'est qu'on a beau vieillir, ce n'est jamais plus facile. N'est-ce pas le plus injuste ?
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. |