Mardi 11 septembre 2007

 

Indisponibilité

Indisponible. Toutes ces dernières semaines, j'étais juste indisponible. Incapable d'écrire la moindre ligne ici. J'avais l'esprit ailleurs. Il m'était devenu impossible de regarder en moi pour y sentir ce qui s'y passait et encore plus impossible d'ouvrir les yeux sur le monde pour entendre sa rumeur et la transformer en mots. La première chose qu'il faut pour écrire, ce n'est pas du talent, ni de l'inspiration, ni même prosaïquement une bonne orthographe. Non : la condition sine qua non à l'écriture est tout simplement la disponibilité. C'est un don qu'il n'est pas si facile d'avoir. On a beau avoir du temps devant soi ou des moyens à disposition, si l'esprit ne s'est pas mis sur la longueur d'ondes des mots, il sera inévitablement impossible d'aligner la moindre phrase où que ce soit.

J'ai passé un été étrange. En fait, un été qui ne ressemblait en rien à un été. Presque chaque matin, il y avait le ciel gris au-dessus de ma tête, ou bien la pluie, ou en tout cas trop souvent le froid. Juillet ne ressemblait pas à un mois de juillet et en août c'était déjà octobre. Les journées se sont succédées sans que je ne m'en aperçoive. Tous les jours, se lever, s'habiller, aller au bureau. Et le reste du temps, étudier pour ce fichu mémoire dans lequel je me suis lancée sans prendre conscience de la somme de travail que cela impliquait. Le matin, devant mon petit déjeuner, je relisais Gérard Genette. Un peu plus tard, j'essayais de terminer au plus vite mon boulot officiel pour, à moitié en cachette, poursuivre l'écriture de la deuxième partie ou bien relire les dizaines de pages écrites la semaine passée. Idem le soir : le son de la télé coupé pour corriger une dernière fois mon travail ou bien fouiller dans les livres pour trouver la référence manquante. J'ai passé mon été à travailler. Mon été m'a fatiguée.

O. m'en a voulu. Il n'a pas arrêté de répéter : "Pourquoi tu ne t'occupes pas de toi ?" Je l'ai envoyé balader, maugréant : Plus tard, quand tout cela sera fini, là je n'ai pas le temps de penser à moi. La vérité, c'est que je n'avais pas non plus vraiment le temps de penser à lui. O. me disait que j'avais mauvaise mine, qu'il fallait que j'aille voir un médecin. Un soir, j'ai pleuré. J'ai dit : Plus jamais je ne me lancerai dans de tels projets, car je suis incapable de faire les choses normalement, avec modération, sans m'y donner à fond. J'ai joué les petites filles capricieuses et je me suis écriée : Puisque je ne sais pas faire les choses à moitié et que je n'arrive pas à me prémunir de l'exigence absolue de perfection, je ne ferai plus rien du tout ! Je serai comme tout le monde : le soir, je rentrerai me coller devant la télé, après avoir préparé le repas et fait le repassage, sans plus jamais me lancer dans des études qui, de toute façon, ne servent à rien. O. ne m'a pas cru. Bien sûr. Après avoir menacé des dizaines de fois de tout arrêter, j'ai à chaque fois continué et, fin août, la veille de notre départ en vacances, j'avais enfin mis un point final à mon mémoire.

En vacances, j'ai tout oublié. J'ai de nouveau été indisponible. Mais pour d'autres raisons. Il faisait chaud, si chaud sous le soleil andalou. Il y avait toutes ces belles choses devant moi. Ces palais royaux, ces jardins paradisiaques, ces fleurs de jasmin qu'O. glissait dans mon corsage. Mais, trop souvent, j'ai eu du mal à respirer. Mon estomac a tourné à l'envers et ma tête s'est mise à chauffer. J'avais tout pour passer de merveilleuses vacances, mais je sentais que mon corps n'était pas capable de me suivre. Du coup, mon esprit n'arrivait plus à se retrouver. Ce soir-là, dans la nuit moite de Cordoue, j'ai eu très peur. Peur que la Bête soit revenue. Cette Bête que j'exècre et que je pensais à tout jamais anéantie. Heureusement, quelques heures plus tard, lorsque nous sommes montés dans la fraîcheur de la montagne, Elle est repartie comme elle était venue. Bon débarras.

Me voici de retour. Pas tout à fait face à moi-même, pas tout à fait en moi-même. Mais presque. Difficile de se réapprivoiser. Difficile de réadopter les mots. Les vacances ont été trop courtes. Mais c'est la rentrée. Tout le monde le dit. Alors je finis moi aussi par reprendre le rythme. Le rythme de ma vie. Le rythme de mon corps.

 

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