Mercredi 4 juin 2008

 

Mille grues

C'est dans le shinkansen, train à grande vitesse, qui nous menait à Hiroshima que j'ai entendu pour la première fois l'histoire de la petite Sadako Sasaki. Le gros guide Lonely Planet retraçait en quelques mots la courte vie de cette petite fille. Lorsque la bombe atomique explosa au-dessus de la tranquille ville d'Hiroshima, le 6 août 1945 à 8h15, Sadako se trouvait avec sa famille à deux kilomètres de l'épicentre de l'explosion. Elle était âgée seulement de deux ans et, miraculeusement, elle survécut, alors qu'autour d'elle des milliers de personnes moururent sur le coup. La fillette grandit comme toutes les petites filles de son âge, dans un Japon meurtri par la guerre dans lequel tout était à reconstruire. Hélas, lorsqu'elle eut douze ans, dix ans après l'explosion de la bombe, Sadako tomba gravement malade. Elle avait une leucémie. Les radiations du 6 août 1945 l'avaient secrètement contaminée et la maladie avait dans le silence grandit dans le corps de la fillette. En 1954, il y avait peu de probabilité de guérir d'une maladie aussi grave. Mais pour garder espoir, pour trouver en elle la force de continuer à vivre et à lutter contre le mal l'affaiblissant, Sadako se mit à plier des grues de papier. Au Japon, depuis des siècles la grue est un oiseau porte-bonheur. Il est synonyme de longévité et de santé. On dit que cet animal est capable de vivre 1 000 ans. On raconte également que celui qui plie 1 000 grues d'origami verra son voeu exaucé et guérira. Sadaka se mit à plier de petits oiseaux de papier avec une volonté acharnée. Aidée de ses amis et de sa famille, elle en avait pliées 642 lorsque la vie l'abandonna. Pour honorer sa mémoire, ses camarades de classe continuèrent ses pliages d'espoir et fabriquèrent les 358 grues de papier qui manquaient. Depuis, les grues de Sadako Sasaki sont devenues un symbole d'espoir et de guérison. Un symbole de paix aussi.

Lorsque nous sommes arrivés à la gare d'Hiroshima, ce jour d'avril, il faisait un temps lourd. Nous avons traversé la ville en tramway, pour déposer nos affaires à l'hôtel. Lorsque nous sommes ressortis visiter la ville, il pleuvait. Le ciel était d'un gris plein de tristesse. Nous avions du mal à réaliser que nous nous trouvions à Hiroshima, dans cette ville dont le nom évoque à tout jamais l'horreur et la folie des hommes. Hiroshima n'avait été pour nous qu'un nom dans des livres d'histoire, comme Auschwitz et Oradour-sur-Glane. Comment croire qu'il s'agissait également d'une ville jeune et moderne où la vie a repris le dessus depuis des années ? Le ciel bas et menaçant, bouchant l'horizon, est venu ce jour-là nous dessiner un peu de cette ambiance fin de monde que nous nous attendions à trouver. Il était 18 heures lorsque nous sommes arrivés devant le musée. Il était trop tard pour le visiter. Il allait fermer. Nous avons marché dans le grand parc-mémorial de la Paix, passant devant la Flamme de la Paix brûlant malgré la pluie, comme pour rappeler qu'aujourd'hui les hommes n'ont toujours pas éliminé les armes atomiques de la planète. La ville, au soir tombant, était silencieuse, mais chaque monument commémoratif, d'une architecture massive et sinistre, semblait hurler le souvenir de l'horreur. Nous nous sommes rendus au pied du Dôme de la bombe A, seul vestige de la ville, maintenu en l'état pour rappeler la violence de l'explosion. Puis nous sommes revenus vers la statue de Sadako Sasaki. Sous mon parapluie, j'ai observé les milliers de grues en papier, pliées par des milliers d'enfants du monde entier. J'ai essayé d'imaginer le 6 août 1945 et tous les jours qui ont suivi à Hiroshima. Je n'y suis pas arrivée.

Du Japon, j'ai ramené de jolis carrés de papier pour fabriquer des objets en origami. Je ne savais pas alors si j'allais vraiment les utiliser. Je me disais que, connaissant ma paresse naturelle, le papier resterait probablement au fond d'un tiroir. Mais lorsque mon père nous a annoncé qu'il était malade, je me suis rappelée de l'histoire de Sadako Sasaki et de la légende des 1 000 grues. J'ai ressorti mes beaux papiers de couleurs et j'ai cherché le modèle du pliage de la grue. Depuis, dès que j'ai un petit moment de libre, je plie des oiseaux de papier. De petits oiseaux multicolores aux ailes souvent maladroitement repliées. Mais je ne veux pas m'arrêter. Je plie mes oiseaux d'espoir. Partout, dans le train, le soir devant la télévision sur la petite table basse, ou bien dans la journée à mon bureau. Je n'ai pas compté le nombre de mes pliages. Mais alignées les unes derrière les autres, mes grues forment déjà une petit armée qui paraît prête à s'envoler. Je ne sais pas quand je m'arrêterai. Je n'arriverai probablement pas au chiffre de 1 000.  Mais qu'importe au fond. Lorsque je fabrique mes grues de papier, il y a en moi la douce illusion que mes oiseaux de papier sont capables d'envoler mes pensées vers mon papa et que, peut-être, ils l'aideront à guérir.

Si vous avez le temps et si vous ne trouvez pas vain de concentrer l'espoir dans quelques bouts de papiers pliés, peut-être pourriez-vous, vous aussi, envoyer des pensées positives à mon papa en pliant chez vous quelques grues de papier. Ce serait un geste gratuit, sans nul autre sens qu'emballer dans un symbole quelques brides d'espoir. Je ne sais pas si j'oserai parler des grues à mon papa, tant je sais en toute rationalité que ce geste empreint de superstition est illusoire. Mais j'ai besoin de matérialiser mon espoir pour le faire exister. Mêmes si les grues sont en papier, peut-être réussiront-elles à s'envoler jusqu'à mon papa et à lui donner la force et l'espoir que je suis pour le moment encore incapable de lui exprimer.

  • En cliquant ici, vous trouverez le descriptif précis et très clair du pliage de la grue d'origami.
  • En tapant sur Dailymotion ou Youtube "grue" et "origami", vous trouverez des vidéos montrant en temps réel comment effectuer les pliages.


Notice tirée de ce site

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