Mercredi 4 juin 2003

Pour la dernière fois
Ce matin, ça a été le début de la fin. J'ai dit au-revoir à mes Poulpes, comme chaque année. Ce ne sont pas les mêmes têtes, pas les mêmes lieux, pas le même contexte. Mais c'est exactement la même chose. Je relis les pages écrites dans mon journal il y a trois ans, il y a deux ans, et je suis troublée de voir que j'aurais pu écrire les mêmes mots aujourd'hui. Peut-être aujourd'hui l'amertume et la déception sont plus grandes qu'à mes débuts, mais à peine au fond. Quand l'année se termine, soudain on s'aperçoit qu'on a oublié tous les mauvais côtés et qu'on n'a plus en tête que le meilleur. La mémoire est sélective et elle ignore la rancune. Oui, aujourd'hui ou il y a trois ans, tout est pareil. La chaleur moite dans la salle de classe à moitié vide. Les meilleurs élèves attentifs et présents, comme survivant de l'hémorragie qui a atteint la plus grande partie de la classe en ces jours qui précèdent les examens. Le sentiment que c'est terminé et que pourtant tout n'a pas été dit. La tristesse mêlée de soulagement et de nostalgie.

Je n'avais pas tout à fait fini de faire mon cours quand la sonnerie a retenti. Aussitôt les élèves se sont levés, pressés semble-t-il de partir. J'ai dit Attendez !. Ils voulaient partir comme des voleurs. Je leur ai souhaité bonne chance, bon courage. Ils m'ont répondu bonnes vacances. Je leur ai dit que cela me ferait plaisir d'avoir de leurs nouvelles, de savoir comment c'était passé le bac, s'ils avaient eu une bonne note, tout ça. Je leur ai donné mon adresse. Sur le tableau vert, à la craie, j'ai écrit mon nom et mon e-mail. Cela me faisait drôle de voir inscrit mon nom sur le tableau, et non plus celui de grands penseurs, comme à l'accoutumée. Certains ont noté scrupuleusement l'adresse dans leur agenda, en souriant. Et puis voilà, c'est tout. Le dernier élève est sorti de la salle en disant "au-revoir Madame" et j'ai fermé la porte à clés derrière lui. J'ai fermé la porte pour la dernière fois.

Tout est pareil. Exactement. Sauf que dans un an, je ne pourrai pas écrire une telle page dans mon journal. Je n'aurai plus à faire de tels adieux. J'ai décidé de rompre la chaîne de l'éternel retour, de dérouler le temps autrement et d'arrêter ce cercle dans lequel j'avais l'impression de m'enfermer. Pourtant, je n'arrive pas tout à fait à me rendre compte qu'effectivement en septembre je ne rentrerai pas avec les autres. Peut-être que dans ma tête, la rupture ne s'est pas encore tout à fait accomplie. Il y a toujours ce sentiment ambigu en moi qui dit à la fois stop et encore, qui déteste son métier et qui en même temps ne veut pas tout à fait le quitter. Tourner les pages, parfois, c'est difficile...

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