Mardi 23 juin 2009

 

Le silence

Les jours passent. Et puis les semaines aussi, et puis les mois. Et c'est le silence qui s'installe. Le silence trouve sa demeure confortable. Il s'étale, prend toute la place. Il est chez lui ici. Il dit qu'il n'a besoin de rien d'autre que lui-même et il se fait la conversation tout seul. Il répète les mêmes mots vides, les mots invisibles qu'on n'entend pas, les mots inaudibles qu'on ne voit pas. Je ne connais pas l'histoire qu'il raconte, comme si je n'en faisais pas partie alors que finalement j'en suis pourtant l'héroïne. Le silence m'a laissé à la porte. Et moi je n'ai plus qu'à me taire. Exactement comme lui.

Je dis ça, mais ce n'est pas vrai. Pas vraiment. N'est-ce pas moi qui ai décidé ce silence ? N'est-ce pas moi qui ai choisi cette absence ? Les jours passent. Et je répète : il y en a marre de parler de moi. Moi, moi, et puis encore moi. J'ai besoin d'air. J'ai besoin d'espace. Je veux arrêter de me regarder dans la glace. Je veux me vivre sans me dire. Et puis les jours passent encore. J'oublie tout. J'oublie ce journal ces pages noircies qui se tournent, ces mots qui s'alignent sous mon quotidien, ces années que j'ai mises en liste sous le mot "Sommaire". J'oublie tout, tout l'habitude d'ouvrir le logiciel de mise en ligne, le formatage à la main des liens web, et puis surtout vous, vous tous, mes lecteurs.

Au début, je suis presque soulagée. Plus d'obligations, et à la place du temps gagné. Mon nombril a presque disparu. Ce n'est plus qu'un tout petit point minuscule au milieu de mon ventre. J'oublie de le regarder. Le soir, je n'écris plus ma vie dans ma tête. A midi, je ne vole plus le temps pour me raconter au fil du clavier. Je me dis que je respire enfin. Vivre sans s'écrire, c'est vivre sans poser ces questions qui retiennent, sans regarder ces visages qui vieillissent, sans tordre le temps qui passe. Vivre sans s'écrire, c'est vivre au jour le jour. Sans attache. Enfin presque.

Au début, donc, mon silence me plaît. Avec le temps gagné, je peux me mettre enfin à écrire. Je veux dire : à écrire vraiment. Au lieu de raconter ma vie dans ma tête, le soir avant de m'endormir, je fais défiler des histoires. Je me dis : "et si j'inventais un personnage qui faisait ça, et puis ça". Je m'interroge : "que va-t-il lui arriver à ce personnage ? " Je rature : "non, la première personne ne va pas, il faut une narration à la troisième personne du singulier et à l'imparfait, c'est certain". Je noircis des pages. Mais ce ne sont plus les mêmes qu'avant. Ce sont des pages blanches du logiciel de traitement de texte. En haut, il y a un titre, et en bas, tout en bas, une date. Je m'envoie les fichiers par mail, les imprime, les relis, les relis encore, les corrige. Et puis. Et puis quoi ?

J'écris des textes et je ne sais pas quoi en faire. Je les fais lire sur le coin d'une table et on me dit "oui, oui, c'est bien", en pensant à autre chose. Je poireaute à la Poste, envoie des enveloppes à des éditeurs, et puis rien. On ne me répond pas. Rien, rien de rien. Juste du silence. Au mieux, on me dit "oui", et puis de nouveau le silence revient pour me faire tourner à vide.

Alors d'un coup, je me demande. Pourquoi ? Pourquoi écrire ces histoires que personne ne lit ? Pourquoi inventer des mondes qui ne parviennent pas vraiment à prendre vie ? Et puis surtout : pourquoi me détourner de moi-même ? Car les jours passent, et puis aussi les semaines et les mois. Et le silence s'est installé. Il est là et maintenant il prend toute la place. Je crois même qu'il m'étouffe. L'autre matin, je me suis réveillée et je me suis dit, comme ça : "finalement, je ne suis pas si bien dans ma vie". J'ai cherché, j'ai cherché. J'ai répété : "mais c'est quoi qui ne va pas ?" Et puis j'ai trouvé : ce qui ne va pas, c'est le silence.

En abandonnant l'écriture du quotidien, je me suis un petit peu abandonnée moi-même. Du moins, j'ai perdu mon équilibre. Je me dis soudain que mon nombril était peut-être aussi mon point d'attache cette ancre marine qui m'empêchait de couler. A force de vouloir à tout prix l'effacer, ne me suis-je pas condamnée à naviguer à vue, sans balise ni point de secours ?

Au milieu de mon silence, je ne vais pas si bien. Et j'aurais aimé trouver l'équilibre entre écrire ici et écrire là-bas, entre se vivre en se disant et se vivre en se taisant.

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